En déclarant qu’elle vivait avec « un homme déconstruit » et qu’elle en était ravie, l’écologiste Sandrine Rousseau n’a pas seulement popularisé un concept jusque-là restreint à la sphère féministe : elle s’est aussi attiré un torrent de moqueries et de critiques de la part de commentateurs tendant à présenter la « déconstruction » comme un projet radical d’atteinte à la virilité qui ne serait porté que par une poignée de femmes et d’hommes activistes. Or, cette enquête menée par l’Ifop pour le compte de Wyylde, un réseau social attentif aux évolutions de la société en matière de sexualité et de conjugalité, s’avère riche en surprises et en enseignements, notamment parce qu’elle montre que ce concept répond aujourd’hui à une aspiration profonde aussi bien de la gent féminine que masculine. Menée auprès d’un échantillon national représentatif de taille conséquente (2 000 personnes âgées de 18 ans et plus), cette étude a en effet le mérite de « déconstruire » les clichés sur l’attachement masculin à certains « rôles de genre » dans la vie comme au lit, même si derrière leurs déclarations de principe, les hommes hétérosexuels – notamment les plus à droite politiquement – sont loin de tous accepter une remise en cause de toutes les formes de domination masculine
- Aujourd’hui, la grande majorité des Françaises (70%) souhaitent être en couple avec un « homme déconstruit » mais leur point de vue s’avère très corrélé à leur positionnement politique. En effet, si cette aspiration est partagée par la quasi-totalité des sympathisantes écologistes (92%) ou centristes (89%), elle suscite moins d’enthousiasme à droite (55% chez les sympathisantes LR) et surtout à l’extrême droite : « seules » 42% des sympathisantes de la formation d’Éric Zemmour expriment ce souhait, ce qui est concordance avec les positions de l’auteur du « Premier sexe » sur ces sujets.
- Dans les faits, les Françaises hétérosexuelles actuellement en couple sont un peu plus de six sur dix (61%) à trouver que leur conjoint actuel est « déconstruit » mais derrière ce chiffre d’ensemble, elles sont loin d’être toutes logées à la même enseigne… Ainsi, si la plupart des jeunes (75%), des cadres (73%) et des sympathisantes EELV (76%) ont des compagnons déconstruits, c’est moins souvent le cas des seniors (43%), des ouvrières (52%) ou des sympathisantes de Reconquête (39%).
- Ce jugement des femmes sur le degré de déconstruction de leur compagnon recoupe assez bien les dires de ces derniers si l’on juge par la proportion d’hommes en couple à se dire « déconstruit » : 54% en moyenne avec un pic de 78% chez les jeunes hommes de moins de 25 ans. De fortes « poches de résistance » à cette déconstruction persistent néanmoins chez les seniors de plus de 70 ans (55%), les électeurs d’extrême droite (59%) mais aussi les fractions les plus religieuses de la gent masculine telles que les catholiques pratiquants réguliers (71%) ou les musulmans (63%).
- Derrière une mesure globale encourageante de la déconstruction, certaines pratiques s’avèrent plus résistantes que d’autres. Ainsi, les injonctions corporelles pesant sur le corps des femmes restent encore très fortes dans l’imaginaire masculin: près de la moitié des Français (48%) n’accepteraient pas d’être en couple avec une femme ne respectant pas ces normes. Une résistance plus forte chez les jeunes hommes (51%), plus sensibilisés à l’aspect sociétal de l’égalité hommes-femmes mais encore fortement imprégnés par les diktats de beauté féminine diffusés notamment dans la pornographie.
- La charge contraceptive dans le couple constitue encore un impensé de la déconstruction et reste l’apanage des femmes, notamment en termes de prise de traitement et d’impact direct sur le corps. En effet, les hommes se montrent plutôt disposés à prendre en charge financièrement une partie de la contraception de leur conjointe (87%), mais sont beaucoup plus réticents à engager leur corps. Alors que la prise par les femmes de la pilule contraceptive et de tous ses effets secondaires est acquis dans l’opinion, le recours à des formes masculines de contraception est loin d’être normalisé: 32% des hommes refusent de prendre des traitements réguliers de contraception comme la pilule masculine ou le slip chauffant.
- Un autre aspect de la vie intime reste imperméable à la déconstruction : la vie sexuelle et notamment le recours à des pratiques inversant les rôles genrés de pénétrant/pénétré. Ce sont en effet plus de trois quarts des hommes (76%) qui refusent d’expérimenter le plaisir prostatique avec leur partenaire féminine. Dans le détail, 54% des hommes refuseraient de se faire lécher l’anus par leur partenaire, 52% de se faire pénétrer l’anus par le doigt, et 65% par un objet (plug, sextoy). Pour la majorité des hommes, leur propre corps reste un domaine impénétrable, refusant toute forme d’intrusion ou de pénétration – pratique essentiellement associée au corps féminin et aux couples homosexuels.
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Le point de vue de Louise Jussian et Chloé Tegny de l’Ifop : Une limite à la déconstruction, la volonté de sauver les apparences
La remise en cause en demi-teinte des modèles traditionnels genrés et des injonctions pesant sur les femmes révèlent que, s’il semble plus facile de déconstruire certaines pratiques dans son quotidien, le monde social exerce encore une forte pression sur les comportements masculins. Il existe en fait une déconstruction à deux vitesses : une déconstruction de vie la pratique et de l’organisation du foyer plus avancée, et une déconstruction de la vie intime et du rapport au corps encore loin d‘être acquise.
Cela fait écho à l’analyse d’Erwin Goffman dans « La mise en scène de la vie quotidienne » qui a introduit l’idée du monde social pensé comme un théâtre, où se joue la conservation des rôles sociaux attribués. Cette injonction à « sauver les apparences » vient masquer une difficulté plus importante à remettre en question les rapports intimes entre les hommes et les femmes.
Cette étude a été menée sous la direction de François KRAUS, directeur de l’expertise « Genre, sexualités et santé sexuelle » à l’Ifop
Pour en savoir plus sur les enseignements de cette étude ou pour obtenir des informations quant aux conditions de réalisation d’un sondage sur les questions de « Genre, sexualités et santé sexuelle », vous pouvez contacter directement François Kraus au 0661003776 (francois.kraus@ifop.com)