Quelle est ampleur des actes homophobes en France ? Face à l’absence de données fiables sur le sujet, la Fondation Jean Jaurès et la DILCRAH ont commandé au département « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop la première enquête permettant de mesurer l’ampleur des actes de harcèlement ou d’agression à caractère homophobe dont peuvent être victimes les LGBT. Menée à partir d’un échantillon à la fois représentatif (méthode des quotas) et significatif (994 LGBT, extrait d’un échantillon national représentatif de 12 137 Français), cet observatoire constitue une véritable « enquête pionnière » qui apporte pour la première fois des données fiables sur le nombre de victimes d’agressions ou de discriminations en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre. Les premiers résultats de l’enquête – achevée il y a moins de 3 semaines – donnent ainsi une idée plus précise de l’ampleur des différentes formes d’agressions homophobes (ex : agressions verbales, agressions physiques, agressions sexuelles, menaces d’outing..) en France mais aussi des cadres de vie où les risques d’exposition sont les plus élevés (ex : établissement, rue, travail, foyer, web) et de l’impact qu’elles peuvent avoir sur les déplacements ou la vie quotidienne des LGBT. |
LES DIX CHIFFRES CLES :
1. Au cours de leur vie, 53 % des LGBT ont déjà été confrontés à au moins une forme d’acte homophobe : les homosexuel·le·s – dont l’orientation sexuelle est généralement plus visible – y ayant été plus exposé·e·s au cours de leur vie (65 %) que les bisexuel·le·s (45 %). 2. Les formes verbales d’homophobie sont les plus répandues : plus d’un quart (28 %) des LGBT (et jusqu’à 49 % chez les homosexuel·le·s) ont déjà fait l’objet d’insultes ou d’injures homophobes, dont 7 % au cours des douze derniers mois. 3. Mais l’ampleur des agressions physiques est loin d’être marginale : un quart des LGBT (24 %) ont déjà été agressés sexuellement et plus d’un sur six (17 %) ont fait l’objet d’actes de violences physiques, dont 39 % des homosexuel·le·s résidant dans des banlieues « populaires ». 4. Les menaces ne sont pas en reste : 18 % des LGBT ont fait l’objet de menaces « d’outing », cette proportion montant à 24 % chez les homosexuel·le·s et autour d’un tiers chez les homosexuel·le·s des banlieues « populaires » (34 %) ou perçu·e·s comme racisé·e·s (32 %). 5. Pour nombre de LGBT, ces agressions ne sont pas une expérience lointaine : 16 % ont été confrontés au moins une forme d’agression à caractère homophobe au cours des douze derniers mois, soit environ 565 000 victimes sur les 4 millions de LGBT évalués par l’enquête. 6. Confirmant les témoignages recensés par SOS homophobie, le taux de victimes entre 2011 et 2018 semble stable : le nombre de homo/bi-sexuelles victimes restant le même, que ce soit pour les agressions physiques (14 %, =) ou verbales (29 % en 2018, contre 31 % en 2011[2]). 7. Tout comme pour le harcèlement sexiste, on observe que les établissements scolaires (26 %) et les lieux publics (23 %) constituent un terreau des plus favorables à l’exposition à des agressions verbales à caractère homophobe, devant le travail (20 %) ou le web (18 %). 8. Un LGBT sur trois (33 %) affirme avoir déjà été discriminé en raison son orientation sexuelle au cours de sa vie, les discriminations les plus fréquentes ayant eu lieu dans leur milieu professionnel (25 %), lors de leur scolarité (21 %) ou d’une recherche d’emploi (19 %). 9. Les homosexuel-le-s s’avèrent particulièrement nombreuses à avoir eu le sentiment d’être discriminées par des représentants des forces de l’ordre (22 %) et des professionnels de santé (20 %), ces dernières affectant beaucoup plus de lesbiennes (27 %) que de gays (19 %). 10. Cet environnement homophobe impacte aussi bien les déplacements des homosexuel·le·s – 45 % ont déjà évité certains quartiers de peur d’agression homophobe – que leur vie de couple : 60 % ont déjà évité de tenir la main ou d’embrasser un partenaire de même sexe en public. |
Le point de vue de François Kraus
Comme le montre le poids des variables liées à l’apparence corporelle dans l’exposition aux actes homophobes, les mécanismes de l’homophobie sont inséparables des normes de masculinité et de féminité en vigueur, si bien qu’il faudra sans doute dans un second temps pousser l’analyse détaillée des résultats en distinguant encore plus finement la gayphobie de la lesbophobie.
À ce sujet, on voit bien que derrière l’homophobie, il y a souvent une injonction sociale au respect des normes de genre : les actes homophobes touchant en premier lieu les LGBT dont l’orientation ou l’identité sexuelle est la plus visible comme par exemple les personnes au physique androgyne, celles manquant de corpulence (pour les hommes) ou aux cheveux courts (pour les femmes). Au regard des résultats, l’homophobie semble donc moins le reflet d’une hostilité de principe au rapport sexuel entre les personnes de même sexe qu’un rejet de la présence du « féminin » chez les hommes ou du « masculin » chez les femmes, en particulier dans les espaces publics ou semi-publics (école, travail). En cela, et même si l’enquête ne permettait pas de traiter les problèmes spécifiques rencontrés par les trans, l’homophobie se rapproche donc de la transphobie et plus largement de la stigmatisation historique des « déviances de genre ».
À ce titre, la LGBTphobie ne touche pas seulement les homosexuels mais aussi le reste de la population comme a pu le montrer par exemple la proportion importante de bisexuels non assumés victimes d’homophobie alors même qu’ils ne revendiquent pas cette orientation sexuelle. Dans tous les cas, au regard de l’impact de ces agressions et discriminations sur la santé mentale des LGBT – marquées par une plus forte prévalence des taux de suicide que la moyenne -, il est important de rappeler que la lutte contre la LGBTphobie ne relève pas seulement d’un impératif moral mais aussi d’un intérêt de santé publique.
François KRAUS, Paul CEBILLE – Expertise « Genre, sexualités et santé sexuelle » à l’Ifop
METHODOLOGIE : L’enquête Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et la DILCRAH menée auprès d’un échantillon de 994 personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres, extrait d’un échantillon global de 12 137 personnes représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 23 mai au 6 juin 2018.
CONTACTS :
François KRAUS, responsable de l’expertise « Genre, sexualités et santé sexuelle » à l’Ifop
Pour toute demande de renseignements à propos de cette étude ou pour obtenir des informations quant aux conditions de réalisation d’une enquête similaire, vous pouvez contacter directement François Kraus au 0661003776
[2] Sondage Ifop pour Têtu réalisé par questionnaire auto-administré en ligne du 1er au 24 février 2011 auprès d’un échantillon de 439 gays, bisexuel(le)s ou lesbiennes, extrait d’un échantillon national représentatif de 6 867 Français âgés de 18 ans et plus.
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