Le débat d’idées organisé sur la laïcité à la République en Marche (20 mars) a soulevé la question du poids, dans l’opinion en général et dans l’électorat Macron en particulier, des positions d’Aurélien Taché et de ses amis qui défendent, depuis l’Assemblée Nationale (Fiona Lazaar, Laetitia Avia, Sacha Houllié) et le gouvernement (Roxana Maracineau) en passant par l’Observatoire de laïcité (Jean-Louis Bianco) ou l’EPHE (Jean Baubérot), une « laïcité ouverte » et « libérale » inspirée du modèle anglo-saxon.
Si elle s’inscrit dans une longue suite de polémiques ayant émaillé le débat public, depuis l’affaire de Creil en 1989 aux arrêtés anti-burkini de 2016 en passant par la loi de 2004 sur les signes religieux à l’École, l’affaire du hijab de course vendu par Décathlon a en effet réveillé au sein de la majorité des fractures déjà apparues au grand jour lors de la polémique autour d’une porte-parole voilée de l’UNEF (Maryam Pougetoux) ou des signes religieux autorisés aux parents lors des sorties scolaires. Or, dans la mesure où la République en Marche n’a jamais eu de position clairement définie sur ces sujets, la question se pose de savoir si le « progressisme » sociétal du Président se retrouve dans son électorat par une adhésion à une vision « inclusive » de la laïcité dans laquelle celle-ci est à la fois réduite au principe de stricte neutralité de l’État et étroitement associée à une grande tolérance à l’égard des manifestations de religiosité dans l’espace public.
Pour y répondre, la Fondation Jean Jaurès a fait réaliser une enquête auprès d’un échantillon national de 2500 personnes – dont environ 500 électeurs macronistes – qui montre que les parlementaires et autres personnalités défendant une vision « libérale » de la laïcité sont en porte à faux aussi bien avec l’ensemble des Français qu’avec les électeurs LREM.
LES CHIFFRES CLES :
- Les Français s’opposent massivement aux formes de banalisation de la « mode pudique » si l’on en juge par leur large soutien aux arrêtés anti-burkini pris en 2016 – soutenus aujourd’hui par plus des trois quarts des Français (78%) et des électeurs macronistes (78%) – mais aussi aux appels au boycott des entreprises qui ont récemment proposé à la vente des hijabs de course : une nette majorité de Français (62%) et d’électeurs macronistes (56%) soutenant les appels aux boycotts subis par Décathlon en février 2019, et ceci même si ces pressions sur l’équipementier ont été vivement dénoncées par les députés les plus « inclusifs » de la majorité comme Aurélien Taché, Fiona Lazaar ou Laetitia Avia.
- Les Français comme les électeurs macronistes affichent clairement leur penchant pour une « laïcité de combat » si l’on en juge par la proportion massive de répondants favorables à des mesures allant beaucoup plus loin que la loi actuelle comme par exemple l’interdiction du port de signes religieux ostensibles aux usagers fréquentant des services publics telles que les mairies ou les préfectures (76%) ou aux étudiants présents dans les universités (76%).
- Les députés LREM, comme Aurélien Taché, qui ont fait récemment échouer un projet d’interdiction du port de signes religieux ostensibles aux accompagnateurs de sorties scolaires apparaissent aussi en porte à faux avec leurs électeurs sur ce sujet si l’on en juge par le nombre très élevé d’électeurs macronistes (76%, soit autant que chez l’ensemble des Français) qui se disent favorables à leur interdiction pour les parents d’élèves accompagnant bénévolement les enfants lors d’une sortie scolaire.
- De même, les responsables de l’Observatoire de la laïcité (Jean-Louis Bianco, Nicolas Cadène), qui s’étaient vivement opposés à l’article de la « loi travail » (2016) qui autorisait les entreprises à restreindre “la manifestation des convictions des salariés” dans leur règlement intérieur, apparaissent très minoritaires dans l’opinion : les trois quarts des Français (74%) et des électeurs macronistes (76%) soutiennent l’interdiction du port de signes religieux ostensibles par les salariés des entreprises privées.
- Bien que vivement critiquée par le sociologue de la laïcité, Jean Baubérot, la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux dans les écoles, collèges et lycées publics suscite quant à elle un large consensus dans l’opinion publique (83%) tout comme dans l’électorat macroniste (88%). Et il est intéressant de noter que bien qu’elle soit encore présentée par certains comme une loi de “ségrégation” (Edwy Plenel, janvier 2015) antimusulmans, cette loi est soutenue par une forte proportion de personnes de confession musulmane (41%), tout comme d’ailleurs la loi de 2010 interdisant le port du voile intégral dans les espaces publics (47%).
- Les trois quarts des Français (74%) partagent l’idée selon laquelle la laïcité serait aujourd’hui en danger en France, ce qui contredit quelque peu le constat fait il y a quelques années par Jean-Louis Bianco affirmant que « La France n’a pas de problème avec sa laïcité » et que les atteintes directes à la laïcité ont tendance à être surestimées par les médias.
- Serpent de mer du débat sur une éventuelle réforme de la loi de 1905, l’idée d’autoriser les pouvoirs publics à financer directement la construction d’un lieu de culte reste aujourd’hui extrêmement marginale dans l’opinion publique (19%) tout comme chez les électeurs ayant l’intention de voter pour la liste LREM aux élections européennes (19%).
- Les Français partagent une conception de plus en plus « offensive » du principe de laïcité si l’on se fie au nombre croissant de personnes estimant que le principe de laicité consiste avant tout à faire reculer l’influence des religions dans la société : 20%, soit une proportion qui a doublé en quinze ans (+11 points depuis 2005). Certes, l’aspect prépondérant associé au principe de laïcité reste l’idée de séparation des religions et de la politique (30%), mais les conceptions minimalistes de la laïcité lui sont de moins en moins associées, qu’il s’agisse de la réduire à la garantie de la liberté de conscience (22 %, -6 points) ou du traitement égal des différentes religions (19%, – 13 points).
LE POINT DE VUE DE FRANÇOIS KRAUS DE L’IFOP :
Contrairement aux idées reçues, l’électorat macroniste est loin d’être imprégné par une vision multiculturaliste et anglo-saxonne de la laïcité et de la place des religions dans la société. Si cet électorat hybride, venu majoritairement de la gauche, se distingue généralement par son libéralisme sur les questions de société (ex : PMA), il est loin d’être en phase avec les principes d’une laïcité ouverte, libérale et inclusive défendue par la poignée de responsables politiques et d’intellectuels (Bauberot-Bianco-Taché) qui pourfendent depuis des années la tradition « universaliste » et « républicaine » de la laïcité. Les résultats de cette enquête montrent au contraire que le positionnement relativiste de certains parlementaires LREM sur ces sujets (ex : polémique sur le voile et le serre-tête) est minoritaire, voire ultra-minoritaire, dans l’opinion comme dans le cœur de l’électorat présidentiel, et ceci d’autant plus que ce dernier tend à élargir son assise sur la droite. Pour un parti dont une part significative des cadres dirigeants sont issus de formations de gauche (ex : MJS, UNEF…) culturellement éloignées de cette tradition laïciste qui fut un temps incarnée par Manuel Valls, le risque est donc de se retrouver en porte-à-faux avec la masse de leurs électeurs qui affichent, comme le reste des Français, une conception pour le moins « offensive » du principe de laïcité.
François Kraus – Directeur du pôle Politique/Actualité
Tel : 06 61 00 37 76