Masturbation compulsive, consommation effrénée de vidéos pornographiques, multiplication des expériences sexuelles virtuelles… L’addiction sexuelle prend aujourd’hui une tournure de plus en plus virtuelle avec les nouvelles formes de dépendance aux images sexuellement explicites visibles sur les écrans. Observateur attentif des sexualités virtuelles des Français et plus précisément des gays qui constituent la moitié de son public, CAM4 a commandé au pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop une enquête afin de mieux cerner leurs usages et leurs goûts sur les sites pornographiques, les plateformes de webcam érotiques et autres outils interactifs permettant l’échange d’images sexuelles. Réalisée à partir d’un échantillon à la fois représentatif (méthode des quotas) et significatif d’hommes attirés par les hommes (848 gays, bisexuels ou hétéros curieux), cette enquête met en exergue l’importance et les conséquences de l’usage des sites pour adultes dans cette catégorie de la population qui exploite plus que d’autres les possibilités de sexualités virtuelles offertes par les nouvelles technologies.
Les chiffres clés
Une banalisation de l’utilisation des nouvelles technologies à des fins masturbatoires
La consommation de contenus pornographiques est beaucoup plus intense chez les hommes qui aiment les hommes que dans le reste de la population masculine : 39% des gays, bis et hétéros curieux regardent un film X au moins une fois par semaine, soit presque trois fois plus que ce que l’on observe chez les hétéros (14%).
Et pour plus d’un sur dix, le porn occupe même une place quotidienne dans leur vie : 13% en visionnent « tous les jours ou presque » (contre à peine 2% des hétéros), les plus gros consommateurs étant les moins de 25 ans (33%) pour qui il constituerait le principal support « d’éducation aux codes culturels qui organisent les sexualités gays ».
Cette surconsommation de films pornographiques va de pair avec un recours beaucoup plus répandu à d’autres supports d’excitation comme les webcams : 48% ont déjà vu quelqu’un s’exhiber devant une webcam (contre 21% chez les hétéros) et 35% ont déjà visionné un sex show en live sur un site de webcam (contre 14% chez les hétéros).
Fervents adeptes de ce « cyber-onanisme » prenant la forme de séances de co-masturbation assistées par webcam, ils expriment aussi un gout prononcé pour les échanges d’images sexuelles par téléphone : près des deux tiers des gays (64%) ont ainsi déjà reçu des nudes, soit trois fois plus que les hétérosexuels (21%).
Fisfucking, Bukkake, facefucking… un attrait pour un porn gay qui répond à des goûts très diversifiés
Contrairement à certains clichés sur le « porno gay » qui tendent à le réduire au seul sexe anal, ce cyber-onanisme repose autant sur un attrait pour le sexe oral que pour le sexe anal : la fellation arrivant en tête des pratiques sexuelles les plus excitantes pour les hommes interrogés (88%), légèrement devant la sodomie (84%).
De même, le potentiel d’excitation de pratiques orales directement issues de la culture porn comme le facefucking (71%) ou l’éjaculation faciale (68%) apparaît tout aussi important, voire légèrement plus fort que des pratiques anales assez banales dans le porno gay comme l’anulingus (68%) ou la pénétration d’un anus avec des doigts (68%).
Enfin, il est intéressant de relever que les hommes qui aiment les hommes expriment aussi un goût prononcé pour des scénarios pornographiques hétérosexuels. En effet, s’ils regardent avant tout des scènes de sexe homosexuel (65%), près de la moitié (49%) regardent aussi des films pornos « hétéros » avec un homme et une femme.
Selon certains spécialistes, ce goût des gays pour des contenus pensés à l’origine pour un public hétéro refléterait « un désir « féminin » pour des corps « masculins » d’autant plus fort que les gays percevraient la masculinité hétérosexuelle « comme plus authentique et plus virile »
Entre suractivité masturbatoire et addictions aux différentes formes de sexe virtuel
Les gays/bis/hétéros curieux interrogés se distinguent par une très nette suractivité masturbatoire : 62% admettent se masturber au moins une fois par semaine, contre 44% des hétéros. Ils sont mêmes près d’un quart (24%) à s’y adonner tous les jours, soit deux fois plus que dans le reste de la population masculine (11%).
Or, cette hyperactivité masturbatoire apparaît intrinsèquement liée à leur accès à des supports d’excitation sexuelle comme les sites de pornographiques en ligne : 80% des gays/bis/hétéros curieux consommant du porno tous les jours déclarent se masturber quotidiennement, contre seulement 27% chez ceux en visionnant toutes les semaines et à peine 9% chez ceux qui n’en voient qu’une fois par mois.
Ainsi, plus d’un tiers des gays, bis et hétéros curieux (37%) reconnaissent être aujourd’hui « addicts » à au moins une forme de stimulation sexuelle artificielle, sachant que ce sentiment d’addiction est aussi fort chez les consommateurs de films X (28%) que dans les rangs des amateurs de sites de sex show en ligne (30%).
LE POINT DE VUE DE FRANÇOIS KRAUS DE L’IFOP
Si cette étude confirme la place importante que la pornographie occupe dans la sexualité gay depuis les années 70, elles met aussi en exergue l’usage croissant que les LGBT ont de certains outils interactifs à des fins sexuels, outils dont l’attrait réside dans le fait qu’ils leur offrent le moyen de se livrer à une excitation mutuelle entre partenaires beaucoup plus stimulante que le visionnage passif de films X. Pour des hommes qui souffrent souvent d’isolement ou de l’impossibilité d’assumer publiquement leurs préférences sexuelles, ces plateformes d’échanges constituent des espaces de sociabilité virtuelles offrant des possibilités de découverte de soi, d’exploration sexuelle ou d’expression de fantasmes sexuels souvent difficilement avouables dans la vie réelle. Pour une minorité qui a longtemps dû vivre sa sexualité clandestinement, ces espaces de rencontres virtuelles offrent donc, sous une forme numérique, le confort du « ghetto » qui, dans la tradition des espaces de rencontres communautaires (ex : bars, saunas, background…), permet aux gays de se livrer à une sexualité récréative et décomplexée loin du regard des autres…
Au sein des générations LGBT les plus imprégnées par la culture porn et les pratiques onanistes qui en découlent, ces deux tendances – le sexe virtuel et la consommation intensive de vidéos X – ne sont toutefois pas sans conséquences, en accroissant les risques d’addiction aux diverses formes d’images sexuellement explicites visibles sur les écrans.
François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop