Depuis son élection à la tête des Etats-Unis, Donald Trump multiplie les annonces fracassantes et les décisions unilatérales, modifiant spectaculairement l’ordre géopolitique international. A la demande du Point, l’Ifop a sondé les Français pour mesurer les effets de cette politique sur la perception que nos concitoyens se font des Etats-Unis et sur les relations entre les deux pays.
- Une défiance sans précédent vis-à-vis d’un allié historique
En 1994, soit cinquante ans après le débarquement de Normandie et cinq ans après la chute du mur de Berlin, qui avait marqué la victoire du camp occidental sur le bloc soviétique, 70% des Français considéraient les Etats-Unis comme un allié sûr. L’Amérique est même alors perçue comme l’allié le plus sûr devant la Grande-Bretagne et l’Allemagne, perçus comme des alliés sûrs par 65% des sondés. Comme le montre le graphique ci-dessous, la crédibilité et la fiabilité des Etats-Unis vont ensuite être affectées par l’invasion de l’Irak, justifiée par un mensonge d’Etat proféré à la tribune des Nations-Unies. Un sondage de l’Ifop réalisé en mars 2003 indiquait ainsi que 87% des Français étaient opposés à l’intervention des Américains et de leurs alliés en Irak, 69% la désapprouvant même totalement. En juin 2004, plus d’un an après le déclenchement de l’invasion et alors que l’Irak était plongé dans un chaos sécuritaire, seulement 55% des Français considéraient les Etats-Unis comme un allié sûr.
L’image des Etats-Unis va se redresser sous les deux mandats de Barack Obama puisqu’en mai 2014 (soit six ans après sa première élection à la présidence), 77% des Français jugeaient ce pays comme un allié sûr. La première victoire de Trump en 2016 et la politique qu’il va mener vont ensuite abîmer beaucoup plus sévèrement l’image des Etats-Unis auprès des Français, que l’invasion de l’Irak. En mars 2017, soit quelques mois après l’investiture de Trump, seuls 38% des sondés percevaient en ce pays un allié sûr. Sous la présidence Biden, cette cote remontera à 68%, soit l’étiage « normal » hors période de tension.
Par rapport à cet étiage, l’enquête que nous venons de mener enregistre un décrochage sans précédent, puisqu’il n’y a plus que 27% de Français à considérer les Etats-Unis comme un allié sûr. Cette cote de confiance se situe 11 points en-dessous de ce qui avait été enregistré au début du premier mandat Trump et 28 points en retrait par rapport à la mesure effectuée durant la guerre d’Irak. La crise de confiance inédite se lit à l’aune de cette remise en perspective historique, mais également au regard de la cote de l’Allemagne et du Royaume-Uni, perçus comme des alliés sûrs par respectivement 71% et 65% des Français.
- Les Etats-Unis désormais perçus comme un adversaire pour faire face à la Russie
Si 70% des sondés continuent de voir dans les Etats-Unis « plutôt un pays ami » pour combattre le terrorisme islamiste (contre 74% en 2018), ils ne sont plus que 42% en ce qui concerne le fait d’assurer la sécurité des pays-membres de l’OTAN (en recul de huit points par rapport à 2018). Fait plus spectaculaire, les Etats-Unis sont désormais perçus « plutôt comme un pays adversaire » pour faire face à la Russie par 63% des Français, cette proportion ayant augmenté de 14 points depuis 2018 (soit deux ans après la première élection de Trump).
Les déclarations de Donald Trump et son attitude vis-à-vis de Vladimir Poutine ont ainsi fait passer le statut des Etats-Unis de « pays ami » de la France face à la Russie (51% des sondés partageaient cette opinion en 2018) à pays adversaire (63% sont désormais sur cette position), alors même que le degré de menace représenté par la Russie est sans commune mesure par rapport à 2018. On rappellera qu’à l’époque, la Russie n’avait pas encore déclenché son agression de grande envergure contre l’Ukraine et n’était pas perçue comme aussi menaçante, qu’elle ne l’est aujourd’hui.
L’amitié ancienne qu’éprouvent les Français pour le peuple américain résiste pour l’instant au bouleversement géopolitique initié par Donald Trump, 60% des sondés continuant de ressentir de l’amitié pour les Américains. Mais ce taux était de 79% en 2018. On mesure un fois encore l’ampleur de l’onde de choc provoquée par les débuts tonitruants de la présidence Trump.
- Le trumpisme : quel attrait en France ?
Sans surprise au regard de ce qui précède, la cote de popularité de Trump auprès de la population française est très faible. Seuls 21% des sondés déclarent avoir une bonne opinion de lui, quand 79% en ont une mauvaise, plus d’un Français sur deux (51%) en ayant même une très mauvaise opinion, ce qui renseigne sur l’ampleur du rejet que ce personnage suscite dans l’opinion française. Si le rejet est très largement partagé, on constate toutefois que sa popularité a un peu progressé par rapport à ce qu’elle était au tout début de son premier mandat (13% de bonne opinion en novembre 2016) et qu’elle est un peu plus élevée que celle de G.W Bush au déclenchement de l’invasion de l’Irak (14% en mars 2003).
Un Français sur cinq a donc une bonne opinion du président des Etats-Unis. Dans quelles catégories de la population se recrutent ses soutiens hexagonaux et quel est le profil des trumpistes tricolores ? On constate tout d’abord un clivage assez marqué selon le genre. 27% des hommes partagent une bonne opinion de Trump contre seulement 17% des femmes. Le style du personnage, jouant volontiers sur les codes machistes et virilistes, rencontre manifestement un écho dans une partie de la gent masculine, quand ses prises de positions sur l’avortement lui aliènent, aux Etats-Unis comme en France, bon nombre de soutiens chez les femmes. Le statut social des interviewés influe également sur le jugement porté sur Trump. Le rejet est maximal parmi les cadres et les professions intellectuelles supérieures (seulement 18% de bonne opinion) et chez les professions intermédiaires (20%), quand les catégories populaires sont un peu plus séduites (27% et même 29% parmi les ouvriers). Comme aux Etats-Unis, le trumpisme parle donc davantage aux cols bleus qu’aux cols blancs, mais rappelons toutefois que pas moins de 71% des ouvriers français ont une mauvaise opinion de Trump.
Si la classe sociale ou le genre influent sur le jugement porté sur le locataire de la Maison Blanche, les résultats de notre sondage indiquent en dernière instance que c’est d’abord et avant tout l’orientation politique qui structure la perception que les sondés se font de Trump. Seuls 6% des électeurs du bloc central au premier tour des dernières élections législatives affichent une bonne opinion de lui, le score de « très mauvaise opinion » atteignant 72% parmi cet électorat. Emmanuel Macron a adopté un positionnement très ferme vis-à-vis de Vladimir Poutine, mais son électorat attend manifestement une attitude sans concession à l’égard de Donald Trump. Le rejet est également massif dans l’électorat du Nouveau Front Populaire, où l’impopularité du président américain atteint 89%, dont 79% de très mauvaise opinion. Les composantes de la gauche expriment régulièrement des divergences ou des oppositions marquées sur différents sujets, mais l’hostilité à Trump constitue un socle fédérateur. A droite, le rejet est également majoritaire, mais dans de moindres proportions. 27% des électeurs LR du premier tour des législatives ont une bonne opinion de Trump et la « très mauvaise opinion » à son égard n’atteint dans leurs rangs « que » 37%. Son style et certaines de ses positions lui aliènent beaucoup de soutiens. Mais l’appartenance de ces électeurs à un courant politique se rattachant à la grande famille de la droite, dont fait également partie Trump, explique que certains sympathisants de droite français apprécient Trump. Hormis ce cousinage philosophique et idéologique partiel, on rappellera de surcroît qu’une partie de la droite française a toujours cultivé un atlantisme militant et une fascination pour l’Amérique. En 2015, Nicolas Sarkozy avait par exemple abandonné le sigle UMP, pour baptiser la grande formation de droite, Les Républicains, soit précisément le nom du parti à la tête duquel se trouve aujourd’hui Donald Trump.
- L’électorat RN entre attrait et répulsion
Le tropisme trumpiste est encore plus prononcé à la droite de la droite. 56% des sympathisants zemmouristes ont ainsi une bonne opinion de lui, tout comme 43% des électeurs du RN au premier tour des élections législatives, contre 57% qui en ont une mauvaise. Si une majorité absolue de l’électorat lepeniste n’apprécie pas Trump, la base électorale lepeniste apparaît toutefois quasiment coupée en deux. Une forte minorité de ces électeurs regardent avec bienveillance ce personnage, notamment en raison de ses prises de position sur l’immigration ou la sécurité. Le combat qu’il mène dans son pays contre les « médias mainstream », le « gouvernement des juges », les instances internationales ou « l’Etat profond », n’est sans doute pas pour déplaire à une partie de l’électorat frontiste, qui rêverait que le RN fasse de même, s’il accédait au pouvoir en France. De la même manière, la capacité que Trump a d’enchaîner les décisions rapides et radicales tant sur le protectionnisme économique, que sur le renvoi de milliers de fonctionnaires des administrations centrales, vient répondre à la demande de franche rupture et d’efficacité, qui existe dans cet électorat, qui attend que l’on renverse la table ici aussi. Les dirigeants du RN ressentent bien l’attrait qu’exerce cette figure auprès d’une partie de leur base. Mais ils ont également en tête que les menaces brandies, tant sur le plan des hausses des droits de douane que sur le désengagement militaire américain en Europe, inquiètent une majorité de leurs électeurs et plus encore des Français. C’est pourquoi la ligne du RN apparaît aujourd’hui assez alambiquée, alors les autres formations politiques ont, à l’unisson, adopté une posture beaucoup plus critique vis-à-vis du nouveau président américain.