Suite à l’adoption d’un amendement prévoyant le blocage des sites qui diffuseraient des contenus pornographiques sans vérifier l’âge de leurs utilisateurs autrement que par une simple confirmation de leur majorité, le magazine spécialisé dans l’actualité du porno, La Voix du X, a commandé à l’Ifop une grande enquête pour mesurer l’opinion des Français sur ce sujet et l’impact qu’un tel blocage pourrait avoir sur les habitudes des amateurs de vidéos X en ligne.
En voici les principaux enseignements :
1. Des nouveaux moyens de contrôle qui suscitent à la fois un sentiment de défiance et d’atteinte à la vie privée
Alors que le gouvernement a renoncé à utiliser la plateforme publique d’identification France Connect pour vérifier l’âge des amateurs de contenus pornographiques en ligne, force est de constater que les organismes – fournisseurs d’accès à Internet et sites X – sur lesquels l’amendement voté au sénat envisage de faire peser la responsabilité de ce contrôle suscitent une nette défiance des Français.
La grande majorité des sondés expriment en effet leur défiance à l’égard des fournisseurs d’accès à Internet (69%) ou des éditeurs de sites X (87%) pour vérifier la majorité des personnes souhaitant consulter ce type de contenu.
De même, 56% des Français – et jusqu’à 63% chez les amateurs réguliers de vidéos X en ligne – ne font pas confiance à un service privé agréé par l’Etat pour vérifier l’âge sur la base de pièces d’identité (ex : CNI, passeport…).
Il est vrai que cette solution – dite du « tiers de confiance » – soulève de fortes inquiétudes quant à la sécurité des données que les consommateurs de vidéos X en ligne pourraient enregistrer à l’entrée de sites X : sept Français sur dix (70%) déclarent ne pas faire confiance à un service d’authentification privé pour sécuriser leurs données personnelles (avec le nom, le prénom et la liste des sites X consultés).
Plus largement, on relève que les Français ressentent ce type de contrôle comme une atteinte à leur vie privée : 57% des Français voyant dans l’obligation de décliner leur identité pour consulter un site pornographique une « atteinte à la vie privée », les amateurs réguliers de vidéos X en ligne étant beaucoup plus inquiets (81%) que les Français n’en regardant jamais (43%).
2. Interdire réellement l’accès aux sites pornographiques : les Français n’y croient pas
S’ils admettent sur le principe la nécessité d’empêcher les mineurs d’accéder à la pornographie, les Français restent très sceptiques sur la réelle faisabilité d’un tel projet : une nette majorité (59%) estime qu’il n’est aujourd’hui pas possible techniquement d’interdire aux jeunes de moins de 18 ans l’accès aux sites pornographiques.
Prévue dans l’amendement voté au Sénat, l’attribution des pouvoirs de régulation à une instance comme le CSA est quant à elle loin d’atténuer ce scepticisme… Au contraire, les Français sont encore plus nombreux (72%) à émettre des doutes sur la capacité de cette institution publique à faire appliquer le projet de loi actuellement en discussion au parlement.
Et en passant en revue l’éventail des diverses solutions techniques actuellement envisagées pour prouver son âge sur ce genre de sites, on constate qu’aucune d’entre elles ne leur apparaît crédible.
A peine un quart des Français croient en l’efficacité de l’enregistrement des codes de sa carte bancaire (24%) à l’entrée des « tubes » X mais aussi de tous les blogs, sites amateurs, forums, qui publient des photos ou vidéos à caractère sexuel.
Un peu plus d’un Français sur trois (38%) croient en l’efficacité de la solution du « tiers de confiance », c’est-à-dire d’un service privé agréé par l’Etat pour vérifier l’âge sur la base de pièces d’identité.
D’autres moyens impliquant un rôle des parents sont jugés un peu plus efficaces mais toujours par une minorité de Français : la vente par défaut par les fournisseurs d’accès Internet d’un logiciel de contrôle parental (47%), et l’obligation pour les parents ouvrant une ligne téléphonique avec accès Internet pour un de leurs enfants d’indiquer l’âge du réel utilisateur de la ligne (42%).
3. Vers un contournement massif de la législation par les amateurs de pornographie en ligne…
Enfin, cette enquête montre qu’au cas où cette restriction d’accès au X serait effectivement votée, les amateurs de porno en ligne – qui représentent six Français sur dix (59%) – contourneraient massivement la législation, quitte à modifier leurs habitudes de consommation.
Quand on leur demande d’imaginer leurs réactions en cas de vote de la loi, les deux tiers des utilisateurs réguliers ou occasionnels de sites X (64%) déclarent qu’ils iraient « chercher un site non bloqué ou n’exigeant pas un contrôle de l’âge ».
Nombre d’amateurs de porno en ligne contourneraient techniquement ce blocage en ayant recours à un VPN (41%), sachant qu’une grande partie d’entre eux (43%) utilisent déjà ou ont l’intention d’utiliser prochainement ce genre d’outils qui permettent de masquer leur adresse IP.
De même, un tiers des amateurs de porn (31%) déclarent qu’ils feraient appel à des résolveurs DNS ouverts, à l’étranger ou même en France, pour lever le blocage d’accès à leurs sites pornographiques préférés.
In fine, peu d’amateurs de porno en ligne accepteraient de « rentrer dans le rang » en se soumettant à un contrôle de leur âge, que ce soit « via un pass obtenu dans le commerce après vérification de vos papiers d’identité » (27%) ou en laissant les codes de leur carte bancaire à l’entrée d’un site X (16%).
Le point de vue de François Kraus, directeur du pôle politique à l’Ifop
Véritable serpent de mer de la politique de lutte « antiporn » contre lequel de précédents gouvernements se sont déjà « cassé les dents » (ex : Laurence Rossignol en 2017), la restriction de l’accès des sites X aux mineurs confronte le gouvernement à la difficulté d’appliquer concrètement la volonté présidentielle exprimée à ce sujet en novembre dernier. En effet, la mise en place d’un contrôle fiable de l’âge des visiteurs à l’entrée de sites pornographiques soulève non seulement des questions éthiques relatives à la garantie de l’anonymat et des données personnelles mais aussi des contraintes « techniques » que d’autres pays en pointe sur le sujet (ex : Royaume-Uni) ne sont pas parvenus à surmonter…
Dans tous les cas, les résultats cette enquête montrent qu’en l’état, l’application d’une telle loi n’aura qu’un impact limité sur la consommation de pornographie des jeunes et des moins jeunes, la plupart des consommateurs de porn envisageant de contourner les systèmes de blocage prévus.
Le point de vue de Michel de Jacquie et Michel
Il n’y a absolument aucun débat à avoir sur la protection des mineurs. Tout le monde est unanime là-dessus : un enfant n’a pas à visionner des contenus destinés exclusivement aux adultes.
L’amendement qui vient d’être adopté au Sénat pose toutefois des questions sur certains points. Lorsque le groupe J&M a été auditionné à l’Assemblée Nationale, nous avons insisté sur la nécessité de mettre en oeuvre et de promouvoir des mesures éducatives fortes non seulement à destination des mineurs (éducation sexuelle) mais également des parents (contrôle parental). Nous avions également, à cette occasion, fait part de nos doutes quant à la réelle efficacité de mesures de blocage technique qui seront aisées à contourner par l’utilisation de plus en plus répandue de services VPN (logiciels permettant de masquer l’origine d’une connexion).Nous serons par ailleurs extrêmement vigilants au respect de cette loi par les sites étrangers basés dans des paradis fiscaux et qui depuis des années diffusent gratuitement du contenu – le plus souvent volé aux producteurs – sans aucun contrôle.
Si toutes ces mesures sont appliquées par tous et sans distinction nous y sommes bien entendu tout à fait favorables. Nous travaillons d’ailleurs depuis plusieurs mois à des modifications techniques que nous allons déployer dans les semaines qui viennent afin de nous y conformer totalement. Nos contenus étant dans leur immense majorité déjà payants cela n’impactera que très peu notre activité. Le groupe J&M continuer à porter le débat sur le terrain de l’éducation et de la prévention.
Le point de vue de TuKif
Récemment le Sénat a approuvé le contrôle renforcé des internautes visitant des sites pornographiques dans le cadre de la protection des mineurs. Nous soutenons l’intention du gouvernement sur le sujet, en effet, un enfant n’a pas à être confronté à des contenus audiovisuels pornographique, violents, discriminants, illégaux ou dangereux. Afin de l’en protéger, les parents, l’éducation, la pédagogie et le dialogue sont primordiaux.
Néanmoins, notre entreprise ne croit pas que la méthode envisagée par le gouvernement pour appliquer le filtrage soit efficace et juste. Nous pensons comme une majorité de Français que l’activation par défaut du contrôle parental est une meilleure solution, et nous pensons qu’il est irresponsable et inadmissible que cela ne soit pas fait automatiquement quand par exemple, les parents confient à leur enfant un Smartphone avec accès à internet. A ce jour, plus de 78% des accès sur un site adulte comme Tukif se fait via téléphone mobile ou tablette ; plus discret, plus privé.
La nouvelle loi prévoit que nous devrons collecter obligatoirement des données personnelles, (nom, prénom, carte de crédit, email), or le sondage de “LaVoixDuX” indique que nous sommes les moins bien placés pour collecter ces informations, seulement 13% des Français nous font confiance pour cela. La confiance des Français se porte d’avantage vers un organisme privé agréé par l’état, mais quel que soit l’organisme et la méthode, ces bases de données seront un jour violées par des hackers et les conséquences seront catastrophiques pour nos utilisateurs, surtout ceux appartenant à des minorités comme les LGBT, car cette base de donnée de personnes majeures ayant vérifié leur identité pour accéder à un site pornographique stockera aussi les sites ayant été consultés par chacun des individus.
Le dispositif prévu comporte d’énormes failles, outre le fait que les cartes bancaires utilisables sur internet sont disponibles dès l’âge de 13 ans, le simple fait de créer une liste de sites qui seront bloqués est une faille. En effet cela signifie qu’il y aura toujours des sites non bloqués et accessibles. Selon un outil proposé par l’université Toulouse 1 capitole, on dénombre pas moins de 2,3 millions de sites érotiques et pornographiques. Il sera impossible au CSA techniquement de notifier l’ensemble des sites simultanément, le processus prendra des années. A ce problème de capacité à contacter et identifier l’ensemble des sites, s’ajoute le paradoxe que seuls les plus gros sites, qui sont au final les plus responsables et volontaires pour utiliser les outils existants de contrôle de parentalité seront pénalisés, laissant la voie libre à la galaxie de petits sites non contrôlés par des sociétés sans règles de contrôle de contenu, donnant ainsi accès à des contenus extrêmes ou illégaux. Enfin, le CSA n’aura aucun moyen de lutter contre l’incessante création de nouveaux sites qui s’accélérera avec cette méthode. Comme le sondage le montre, 64% des français chercheront à contourner le filtre obligatoire en cherchant un site non bloqué. Et Google les aidera dans cette tache puisque Google sera simplement tenu de ne pas lister les sites bloqués. Une mesure largement plus efficace viserait à contraindre Google à ne lister que des sites ayant installé le filtre de vérification d’âge, 73% des Français partagent cette analyse. De notre côté nous avons déjà mis en place des outils sur nos sites comme l’implémentation d’un tag reconnu par les logiciels de contrôle parental afin que ceux-ci soient automatiquement bloqués sur les appareils équipés de ce type de logiciel.
Nous souhaitons aussi attirer l’attention sur les différents réseaux sociaux acceptant la pornographie, cette nouvelle loi représente-t-elle la fin de l’anonymat sur Twitter ? En effet Twitter accepte le contenu pornographique, ainsi que Reddit par exemple. Qu’en est-il des groupes Telegram ou comptes SnapChat spécialisés dans la pornographie de plus en plus nombreux et ciblant en particulier les mineurs ? Avec cette nouvelle loi les habitudes des internautes changeront, ils se tourneront vers d’autres sources de pornographie non régulées, aggravant ainsi le problème de la pornographie chez les mineurs.