Sanitaires malodorants, crainte de croiser un(e) collègue, peur d’être entendu(e) à travers la porte…A l’heure où le « retour au présentiel » amène à repenser la gestion des espaces de travail (ex : flex office…), rares sont les réflexions sur la transformation des immeubles d’entreprise qui intègrent un des grands tabous de la vie professionnelle : la gêne éprouvée par l’usage des lieux d’aisance en entreprise et son caractère très genré. Inspirée d’une enquête de référence du New-York Times sur le « poop-shaming au travail » (Women Poop. Sometimes At Work. Get Over It, 20 sept. 2019), cette enquête Ifop /Diogène France menée auprès de 1 000 salarié(e)s montre que l’usage des toilettes d’entreprise est une source d’anxiété sociale dont les effets sur le bien-être au travail peuvent être considérables pour la population salariée en général et pour les femmes actives en particulier.
Les chiffres clés
LES TOILETTES AU TRAVAIL : DES WC PAS TOUJOURS GENRÉS NI PROPRES
1. Alors que le code du travail impose des « cabinets d’aisance séparés pour le personnel masculin et féminin » (Art. R. 4228-10) dans les établissements employant un personnel mixte, plus d’un tiers des salarié(e)s (34%) ne dispose pas aujourd’hui de toilettes genrées sur leur lieu d’activité professionnelle.
2. Et le mécontentement des salarié(e)s ne tient pas qu’à cette question d’aménagement genré des infrastructures sanitaires : il résulte aussi d’un problème d’entretien si l’on en juge par le nombre de salarié(e)s qui se plaignent de la saleté (55%), de la mauvaise odeur (42%) ou du manque d’isolement des toilettes de leur organisation.
LE « POOP-SHAMMING », UN PROBLÈME QUI AFFECTE BEAUCOUP PLUS LESSALARIÉES QUE LES SALARIÉS
3. Si plus de la moitié des salariés (53%) déclarent s’être déjà sentis gênés en déféquant sur leur lieu de travail, les femmes en ont été bien plus affectées (60%) que les hommes (44%). C’est même actuellement le cas pour 42% des femmes, en particulier les jeunes de moins de 30 ans (62%, contre 24% des quinquagénaires).
4. Ce « gender gap » transparaît aussi dans la prévalence de la parcoprésie : l’incapacité à déféquer sur son lieu de travail dans des situations de non-intimité affecte plus d’une salariée sur deux (53%) contre moins d’un homme sur trois (30%).
5. Or, ces formes de rétention fécale ne sont pas sans conséquences pour leur santé intestinale : les salariées affichant ainsi des taux de constipation (73%, contre 53% des salariés) ou de troubles de la digestion (72% chez les femmes, contre 54% des hommes) beaucoup plus élevés que les hommes.
LES STRATÉGIES DE DISSIMULATION OU DE RETENUE DE L’ACTIVITÉ ÉXCRETOIRE AU TRAVAIL
6. Ce “poop-shaming” engendre des phénomènes de retenue d’une ampleur mésestimée, en particulier dans la gent féminine. Ainsi, aujourd’hui, une femme sur deux (50%) se retient d’aller à la selle sur son lieu de travail, contre à peine d’un homme sur trois (36%). 15% des femmes déclarent même « parvenir toujours à se retenir ».
7. La gêne à l’idée de déféquer sur son lieu de travail favorise l’adoption d’alternatives à l’usage des WC telles que le fait d’aller dans d’autres toilettes de son entreprise (36%), d’aller dans des WC situés en dehors de son travail (21%) ou encore de prendre des comprimés pour éviter d’aller à la selle durant les heures de travail (11%).
8. Enfin, nombreuses sont les femmes qui adoptent des techniques pour dissimuler leur usage des WC telles que le fait de « faire vite » afin de faire croire qu’elles n’ont fait qu’une simple « pause pipi » (44%), transporter un désodorisant pour cacher les odeurs (16%) ou allumer une allumette pour y cacher l’odeur (9%).
François Kraus, directeur du pôle Genre, Sexualité et Santé Sexuelle à l’Ifop
Le point de vue de François Kraus, directeur du pôle Genre, Sexualité et Santé Sexuelle à l’Ifop :
Loin d’être un sujet à prendre à la légère, le “poop-shaming” au travail constitue un enjeu RH qui doit, à l’heure du retour au présentiel, avoir toute sa place dans les réflexions post-covid autour des transformations des espaces et des modes de travail (« Future of Work »). Non seulement parce que le confort des WC est un facteur de qualité de vie professionnelle où tout laisser-aller donne l’impression que les conditions de travail des salariés ne sont pas respectées. Mais aussi parce qu’en étant à l’origine d’un véritable trouble d’anxiété sociale, le “poop-shaming” constitue un phénomène socio-psychologique dont l’ampleur et les conséquences sur la santé peuvent être graves pour la population salariée dans son ensemble et pour les salariées en particulier. Il faut dire qu’en mettant en évidence le poids que les normes de féminité – culturellement associées à la pureté et la propreté – peuvent avoir sur le rapport au corps, cette enquête montre qu’il s’agit aussi d’une problématique de genre, somme toute très symptomatique de la manière dont la pression à la perfection qui pèse sur les femmes peut les affecter jusqu’au plus profond de leur intimité.
François Kraus, directeur du pôle Genre, Sexualité et Santé Sexuelle à l’Ifop
Cette étude a été menée sous la direction de François Kraus, directeur du pôle “Politique / Actualités” de l’Ifop, en partenariat avec l’agence Flashs. Pour toute demande de renseignements à propos de cette étude ou pour obtenir des informations quant aux conditions de réalisation d’une enquête du même type, vous pouvez contacter directement François Kraus au 0661003776 – francois.kraus@ifop.com .