Près d’un an après l’irruption du terme « Covid-19 » dans toutes les conversations, la question de son genre ne semble toujours pas avoir été tranchée : dit-on « le » ou « la » Covid ? Après une apparition marquée par l’emploi du masculin, la contre-attaque plus que tardive de l’Académie française puis l’alignement progressif des autorités sur le féminin – jusqu’à Emmanuel Macron en fin d’année 2020, un sondage Ifop pour Ernest montre que l’usage l’emporte sur la norme : en effet, la majorité des Français dit « le » Covid. Pour autant, ils sont aussi plus nombreux à estimer qu’il faudrait dire « la ». Paradoxe ? Pas si sûr…
Les chiffres-clés de l’enquête
Dans la pratique, 56% des Français déclarent genrer le mot « Covid » au masculin, contre seulement 19% au féminin… et 25% qui s’efforcent de ménager la chèvre et le chou, en jonglant entre les deux. S’il fallait diviser ce monde en deux catégories, il apparaîtrait ainsi que « le » Covid est employé par 81% des Français, soit quasiment deux fois plus que « la » Covid, avec 44%.
Dans la théorie, le féminin est cependant réputé correct pour… la majorité également ! En effet, 57% suivent la recommandation de l’Académie française et déclarent que, selon eux, « Covid » n’est correct qu’au féminin, contre 23% pour le masculin… et 20% estimant, à l’instar du Robert, que les deux genres sont valables.
Les tenants du masculin le justifient principalement par l’usage : parce qu’il était en vigueur au tout début de la pandémie (critère déterminant pour 38%), parce qu’il paraît plus « naturel » par sa sonorité (31%) ou son genre aligné sur celui de « coronavirus » (29%). Autrement dit, « premier arrivé, premier servi ». Chez les partisans du féminin, on valorise plutôt la norme : « la » Covid parce que « l’Académie a dit » (26%) ou par approbation de son argument linguistique (25%) pour justifier une décision ô combien contestée.
Le point de vue de Jean-Philippe Dubrulle (Ifop Opinion)
En dépit d’une coexistence des deux genres de « Covid » dans la sphère médiatique, avec d’un côté des quotidiens nationaux restés sur le masculin issu de l’usage initial et, de l’autre, les autorités ayant opté pour le féminin depuis plusieurs mois, les Français ne se sont pas divisés sur la question. Plutôt que de constituer deux blocs d’importance égale, ils disent toujours majoritairement « le » tout en croyant dans la normativité du « la ». Un paradoxe qui montre l’attachement particulier des Français à connaître les « règles » de la langue, sans pour autant les appliquer strictement lorsque celles-ci sont en décalage manifeste avec l’usage. Ce décalage interroge donc éminemment sur le rôle de l’Académie française, tant sa décision à l’égard de « Covid » apparaît comme une tentative désespérée d’exister dans la pandémie. Près d’un an après le début de la crise sanitaire, ni l’usage ni la norme n’ont triomphé de l’autre. Or, en pareil cas, c’est l’usage qui gagne.
Le point de vue de David Medioni (Ernest)
Il n’y a pas de langue sans usage dit l’adage bien connu. Celui-ci se confirme au regard des résultats du sondage réalisé par l’Ifop et Ernest. Si l’on remarque que l’usage est d’utiliser le masculin pour parler de « Covid », il ressort que nos compatriotes savent très bien que l’Académie française a recommandé l’emploi du féminin. Mais ils font autrement. Faut-il y voir là-aussi une défiance envers les institutions ? L’usage démontre ici sa force dans l’emploi des mots. Il vient souligner que l’on ne modifie pas une langue ou une façon d’écrire par décret. Il vient souligner aussi la malléabilité d’une langue. Cela vient aussi éclairer la célèbre phrase d’Antoine de Saint-Exupéry selon laquelle « Le langage est une source de malentendus ». Du moins, il y a une forme de débat et de tension autour de notre langue. Ce qui signifie qu’elle est vivante, en mouvement et qu’elle nous intéresse.