LA SATISFACTION AU TRAVAIL DES FEMMES : L’ARBRE QUI CACHE LA FORÊT
De prime abord, plus de 8 femmes salariées sur 10 (82%) déclarent être satisfaites de leur situation professionnelle actuelle, mais seules 24% se déclarent très satisfaites. Cette première mesure de satisfaction globale ne s’avère toutefois pas homogène selon les catégories de femmes salariées. Les situations de précarité, perceptibles à travers le niveau de revenus, le type de contrat de travail, le temps de travail, ou encore le faible niveau de diplôme, sont clairement identifiées comme des facteurs d’insatisfaction professionnelle.
De plus, les femmes salariées ne sont que notamment 56% à se satisfaire de leur rémunération, soit à peine plus d’1 sur 2. Ces deux derniers indicateurs sont à mettre en regard des inégalités réelles de salaires entre hommes et femmes (17% d’écart en équivalent temps plein en 2019 selon l’INSEE), qui s’accroissent avec l’âge, et justifient donc une insatisfaction particulièrement marquée.
L’évaluation détaillée de sa qualité de vie au travail vient là-aussi mettre en lumière d’autres clivages : si 72% à 89% des salariées ont le sentiment d’effectuer un travail utile, d’être bien intégrées dans leur entreprise, d’avoir des objectifs de travail réalistes et une chargée adaptée à leur temps de travail, d’acquérir régulièrement des connaissances et d’être épanouie, elles ne sont de nouveau plus que 64% à avoir le sentiment que leur travail est reconnu à sa juste valeur, et plus d’une salariée sur 2 (56%) se déclarent stressées dans le cadre de leur travail.
UNE MAJORITÉ RÊVE DE RECONVERSION, AVANT TOUT EN RAISON D’UNE SITUATION DE TRAVAIL SUBIE
57% des femmes salariées rêvent parfois de reconversion professionnelle, que ce soit sous la forme d’un changement de métier, de secteur, ou de statut professionnel. Plus précisément, cela concerne davantage les femmes âgées de 25 à 34 ans (67%), celles à temps partiel (63%) et celles en CDD (74%), mais aussi celles exerçant un métier à temps plein de 50h ou plus par semaine (65%), et inévitablement celles qui sont insatisfaites de leur situation professionnelle actuelle (85%).
64% des salariées qui rêvent de reconversion évoquent comme raison principale une frustration ou un ennui professionnel. La deuxième raison évoquée est celle de la souffrance au travail, qui ne concerne pas moins d’1 femme sur 2. Face à ces enjeux, seule une minorité de salariées (43%) abordent le sujet de la reconversion comme un challenge personnel.
UN CHEMIN VERS LA RECONVERSION SEMÉ D’EMBÛCHES
Pour autant, parmi celles qui rêvent de reconversion – par définition les plus motivées –, de multiples freins au changement sont identifiés :
- D’abord, du découragement et des craintes sur l’avenir pour 45% d’entre elles
- 45% font également état d’un manque d’envie et d’inspiration
- Les contraintes financières et les contraintes de temps sont ensuite citées par pas moins de 42% d’entre elles et arrivent en 3ème position
- Enfin, 27% mentionnent le fait d’être toutefois attachée à son environnement de travail actuel
Face à ces nombreux obstacles, des solutions sont toutefois bien accueillies pour encourager ou du moins renforcer la détermination des femmes à changer de voie : plus de 6 salariées sur 10 (61%) pensent qu’un accompagnement à la reconversion professionnelle, sous forme de coaching par exemple, pourrait les aider à sauter le pas de la reconversion.
À LA CLÉ, UNE RECONVERSION SYNONYME D’EMPOWERMENT ET D’ÉPANOUISSEMENT
En parallèle des nombreux défis qui attendent les femmes souhaitant sauter le pas de la reconversion professionnelle, celles-ci identifient clairement les objectifs et les bénéfices qui en découleraient : Parmi celles qui rêvent le plus de reconversion professionnelle, l’épanouissement personnel et professionnel est davantage privilégié pour 74% d’entre elles, tandis que l’empowerment et le leadership arrive en 2ème position, suivi de l’autonomie et de la flexibilité.
Au-delà des attentes, les modalités de réalisation de la reconversion professionnelle laissent entrevoir un nouveau clivage, avec plus des 2/3 des femmes (68%) qui souhaitent rester salariée mais dans un autre métier ou secteur – sécurité oblige – et seulement 32% qui envisagent de quitter le salariat, pour fonder son entreprise (16%) ou pour devenir freelance, auto-entrepreneuse (16%).
LE POINT DE VUE DE L’EXPERTE
Chloé Tegny, Chargée d’études au Département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop, Pôle Corporate & Work Experience
On voit ainsi clairement se dessiner un dilemme dans les aspirations professionnelles des femmes, entre sécurité et mobilité, en lien avec un vécu professionnel plus dégradé (physiquement et psychologiquement) chez les femmes que chez les hommes. En effet, la précarité de l’emploi concerne une partie non-négligeable de la population féminine salariée – 80% des emplois à temps partiel étant occupé par des femmes, 10,6% occupant des postes en CDD contre 6,5% des hommes. Leur niveau de rémunération se trouve également inférieur, dû en partie à une évolution professionnelle qui se concentre essentiellement dans des secteurs de métiers féminisés, difficiles, peu valorisés et attractifs socialement (métier du care, service à la personne, ménages, etc…). Au-delà de la contrainte financière, une plus forte propension au stress et aux problèmes de santé au travail, la gestion du foyer et plus spécifiquement de la parentalité constituent autant de freins supplémentaires à la reconversion professionnelle des femmes, qui accordent un poids plus important à la notion de sécurité dans l’emploi, comparativement aux hommes. Comme le montrent Flora Baumlin et Romain Bendavid*, ces disparités de genre dans l’emploi produisent un « effet miroir » dans les aspirations professionnelles des femmes : là où les hommes sont plus enclins à envisager d’autres types de statut professionnel que le salariat, en « prenant leur risque », et où les perspectives d’évolution vers un poste plus qualifié sont plus nombreuses en interne, les femmes peinent à trouver le bon équilibre entre mobilité professionnelle souvent subie, sécurité financière et sécurité de l’emploi.
* Flora Baumlin, Romain Bendavid, Les chemins de l’égalité, Les femmes, les hommes et le travail, Editions de l’Aube, Fondation Jean Jaurès, Mars 2022