Dans quel pays d’Europe y-a-t-il le plus de femmes qui « couchent le 1er soir » ou, pour être plus précis, qui donnent rapidement une dimension sexuelle à leurs relations ? A l’heure où l’injonction à une « réserve féminine » est plus que jamais critiquée pour son poids dans les jeux de séduction hétérosexuelle et ses effets de « réputation » (ex : « slut-shaming »), quelles sont les Européennes qui s’affranchissent le plus de ces conventions qui dévalorisent toute sexualité féminine sortant du cadre « légitime » du couple ? Observe-t-on chez les jeunes européennes davantage d’adeptes des coups d’un soir ou d’autres formes d’ébats sexuels sans engagement comme les « sex-friends » ou les « sexparties » mêlant sexe et drogue ? A l’occasion de la journée mondiale de l’orgasme (21 décembre), l’Ifop publie pour le compte de Wyylde, un réseau social attentif aux évolutions de la société en matière de sexualité, un observatoire mettant en évidence certaines tendances récentes tout en tentant de mettre en carte ces formes de sexualités récréatives. Réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 5000 femmes vivant dans les cinq plus grands pays européens (Espagne, Italie, France, Allemagne, Royaume-Uni), cette étude confirme qu’un nombre élevé d’Européennes assume désormais une sexualité récréative, entendue au sens d’une « sexualité de loisir » ne visant qu’à combler leurs désirs sexuels du moment sans sentiments ni engagement…
1 – UNE MAJORITÉ D’EUROPÉENNES A DÉJA EU DES RAPPORTS SEXUELS « DES LE PREMIER SOIR »
Combien d’Européennes ont déjà « couché le premier soir » ? Répondre à cette question oblige à préciser ce qu’on entend par “premier soir ” : est-ce la première fois que les partenaires se sont parlé, la première occasion propice à un rapprochement physique (ex : fête, soirée entre amis…) ou le premier rendez-vous amoureux (ex : « date ») ? Quelque que soit l’unité de mesure, l’étude n’en montre pas moins qu’une proportion croissante de femmes ont déjà vécu des relations où le « passage à l’acte » avait eu lieu à la première rencontre ou la première occasion…
En dépit des risques de stigmatisation qui pèsent toujours sur les femmes donnant rapidement une dimension sexuelle à une relation, de plus en plus de Françaises assument avoir déjà eu une relation sexuelle avec un partenaire « dès leur première rencontre » (38%, +4 points depuis 2015), et elles sont encore plus nombreuses dans les rangs des jeunes filles de moins de 25 ans (41%, +5 points depuis 2015).
Par rapport aux autres aires culturelles du continent, les pratiques des Françaises en la matière n’en occupent pas moins une position intermédiaire entre celles des Italiennes (25%), qui vivent dans un pays méditerranéen où l’Eglise catholique exerce encore une influence sur les normes sexuelles, et celles des Britanniques (41%) qui évoluent, elles, dans une société à dominante protestante où règne une éthique plus libérale et égalitaire en matière de mœurs.
Il est vrai que quelque que soit les indicateurs testés, leur expérience du « fast-fucking » (sexe rapide) apparaît étroitement corrélée à leur niveau socio-culturel, à leur degré d’affranchissement à l’égard de la religion mais aussi à leur fréquentation des plateformes de dating : 84% des utilisatrices actuelles d’une application ont déjà eu des rapports sexuels « dès le 1er soir », contre 43% des femmes n’en ayant jamais fréquenté.
En raison notamment du manque d’ambiguïté autour des intentions des partenaires, les rencontres en ligne contribuent donc à cet essor du sexe le premier soir, voire à des expériences sans aucune étape préliminaire. On le retrouve notamment dans le taux de femmes ayant déjà retrouvé un partenaire directement à son domicile sans l’avoir vu en vrai auparavant, taux huit fois plus élevé chez les utilisatrices actuelles d’une appli (50%) que chez celles n’en ayant jamais utilisé (6%).
Le point de vue de Fr. Kraus : Si les injonctions culturelles à une certaine « réserve féminine » jouent encore un rôle structurant dans les relations hétérosexuelles, force est de constater que les Européennes s’écartent lentement mais surement des normes imposées par un discours moral qui a longtemps imposé l’idée que « la valeur des femmes tient à la parcimonie avec laquelle elle se donnent [alors que] celle des hommes ne diminue pas avec le nombre de leurs succès » (Bozon, 2002)[1]. Certes, cette capacité à « passer à l’acte » aussi rapidement qu’elles le désirent n’est pas encore à la portée de toutes mais elle est bien révélatrice du déclin d’une morale conservatrice qui, ici comme ailleurs, a toujours fait peser sur les femmes le risque du stigmate de « la fille facile » pour contrôler leur sexualité…
2 – PRÈS D’UNE EUROPÉENNE SUR DEUX A DÉJÀ EU UNE AVENTURE SEXUELLE ÉPHEMÈRE, EN PARTICULIER CELLES PRESENTES SUR DES SITES DE RENCONTRE
La banalisation du « sexe dès le premier soir » va de pair avec une autre tendance avec laquelle elle est parfois confondue à tort : la pratique d’un modèle de « sexe sans lendemain » (« One-night stand ») dans laquelle la sexualité est dissociée de toutes formes de conjugalité. Malgré un contexte social mononormatif qui valorise toujours la sexualité de couple, il ressort en effet de cette enquête que nombre de femmes – notamment chez les plus jeunes – n’ont pas forcément besoin d’attachement, d’engagement ou de sentiments pour avoir un rapport sexuel…
Près d’une européenne sur deux (47%) a déjà eu au moins une fois un rapport sexuel en dehors d’une relation suivie, au sens d’une relation qui débute avant le coït et qui se poursuit après… Certes, le caractère éphémère de ces aventures n’est pas toujours de leur fait mais elles sont tout même un tiers (33%) à avoir couché « avec une personne une seule fois tout en sachant d’avance [qu’elles n’allaient] pas la revoir », signe que cet aspect éphémère peut être le fruit de leur volonté.
Cette disposition des femmes à dissocier de plus en plus sexualité et conjugalité transparaît tout particulièrement en France où le nombre de jeunes françaises de moins de 25 ans à qui il est déjà arrivé « d’avoir une relation sexuelle sans lendemain » a nettement augmenté ces dernières années (49%, + 8 points depuis 2013). Avec les Britanniques (46%) et les Espagnoles (50%), les jeunes Françaises se situent ainsi parmi celles qui pratiquent le plus facilement le « One-night stand ».
Enfin, dans le détail des résultats, on retrouve les mêmes variables qui jouent dans la capacité des femmes à s’adonner à des ébats sexuels éphémères : un niveau social et socioculturel supérieur à la moyenne, un positionnement politique progressiste, une localisation en milieu urbain (notamment dans les villes-centre des agglomérations), un affranchissement à l’égard de la morale religieuse et une tendance à se situer dans les minorités de genre.
Le point de vue de Fr. Kraus : Même si la vie de couple reste pour la plupart des femmes un idéal de vie, cette étude a le mérite de montrer que les hommes n’ont plus le monopole d’une « approche détachée et instrumentale de la sexualité » [1] où l’acte n’a d’autres finalités que le plaisir… S’affranchissant des conventions qui ne valorisent que le modèle du couple monogame, les jeunes femmes – et tout particulièrement les Françaises – assument plus que jamais une « sexualité plastique » (Giddens) affranchie des scripts de « l’amour romantique » et autres injonctions à la retenue sexuelle… Certes, elles souffrent toujours d’une moindre permissivité sexuelle que les hommes mais leurs aventures sexuelles éphémères n’en sont pas moins indice d’une indépendance sexuelle croissante.
3 – SEX-FRIEND, SEX-PARTIES, CHEMSEX : LES JEUNES EUROPÉENNES PRATIQUENT DE PLUS EN PLUS UN « SEXE LOISIR » SANS ENGAGEMENT MAIS PAS FORCEMENT SANS RISQUE…
PRÈS D’UNE JEUNE EUROPÉENNE SUR TROIS A DÉJÀ EU UNE EXPERIENCE SEXUELLE DE TYPE « SEX FRIENDS »
Cette tendance des Européennes à avoir des rapports sexuels dénués de tout engagement transparaît dans une forme de sexualité excluant elle aussi tout engagement sentimental : la pratique du « sexfriend ». Popularisée notamment dans la culture anglo-saxonne, elle semble en effet de plus en plus monnaie courante dans les jeunes générations.
Car si la proportion de femmes ayant déjà eu régulièrement des rapports avec un(e) de leurs ami(e)s reste relativement limitée dans l’ensemble de la gent féminine initiée sexuellement (23% en moyenne chez les femmes de 18 à 69 ans), elle l’est beaucoup moins chez les jeunes : plus d’une femme sur trois (36%) de 18 à 24 ans se sont déjà adonnées à cette forme d’amitié sexuelle, notamment en France (41%, +3 points depuis 2017) et au Royaume-Uni (42%).
PRÈS D’UNE JEUNE SUR SIX A DÉJÀ EU UNE EXPERIENCE SEXUELLE AVEC DES PARTENAIRES TOTALEMENT INCONNUS
Mais cette tendance à prendre du plaisir sexuel à deux sans autre forme d’engagement ne se limite pas qu’à des partenaires situés dans son cercle de confiance. Nombre de jeunes femmes n’attendent plus d’être dans une relation de confiance ou de complicité pour avoir un rapport sexuel…
En effet, une proportion significative de jeunes Européennes ont déjà fait l’amour avec quelqu’un dont elles ne connaissaient le prénom : 17% en moyenne, mais jusqu’à deux fois plus au Royaume-Uni (28%) ! En France, cette pratique très symptomatique de la capacité à réduire une relation à sa pure dimension physique est, certes, plus limitée (19%) mais a nettement progressé en quelques années (+6 points depuis 2017).
UNE JEUNE BRITANNIQUE SUR CINQ A DÉJÀ EU UNE EXPERIENCE SEXUELLE SOUS DROGUE DURE
La réalisation de rapports sexuels avec des partenaires inconnus est souvent révélatrice d’un contexte festif où la consommation d’alcool ou de drogues, en compromettant leur capacité de jugement, peut surexposer les jeunes femmes à des comportements sexuels à risque…
Etroitement liée à une culture du « clubbing » très présente au Royaume-Uni (ex : Londres) et en Espagne (ex : Baléares), la démocratisation des drogues de synthèses (ex : GHB, 3-MMC, Kétamine, MDMA…) a ainsi conduit nombre de jeunes femmes à des expérimentations sexuelles potentiellement dangereuses : 19% des Britanniques, 17% des Espagnoles et 15% des Françaises déclarent ainsi avoir déjà eu des rapports sexuels sous drogue dure.
La fréquentation des soirées qui s’inspirent des fameuses « Skins Parties » (ex : soirées « SAD : Sexe, Alcool, Drogue ») constitue elle aussi un phénomène générationnel où les Britanniques s’imposent là aussi comme les plus grands adeptes de « chemsex » : 23% des jeunes femmes y ont déjà eu des rapports sexuels dans des sex-parties mêlant drogue dure, sexe et alcool, contre 16% des Françaises et 17% des Espagnoles.
Le point de vue de Fr. Kraus : Loin d’être l’apanage de la communauté gay, la consommation de drogues récréatives illicites occupe donc aussi une place significative dans la sexualité des jeunes européennes. Certes, leur usage des drogues à des fins sexuelles y est sans doute plus occasionnel, mais il est tiré par le même besoin : diminuer leurs inhibitions pour trouver un partenaire et faire passer leurs sensations à un niveau supérieur. En cela, leur pratique du chemsex s’inscrit dans la même optique que les autres tendances révélées par cette étude : trouver du plaisir et sans doute une manière de se libérer des injonctions sociales qui les poussent à la retenue… Quelque soient les risques qu’elles encourent, les Européennes revendiquent donc de plus en plus une sexualité récréative, entendue au sens d’une « sexualité de loisir au sens fort, une sexualité libre (…) dont l’objectif principal est le bien-être » (Mouget, 2016).
François KRAUS, directeur de l’expertise « Genre, sexualités et santé sexuelle » à l’Ifop