Parce que la Génération Z redéfinit les codes du luxe et qu’elle pourrait représenter près de 30 % des achats du secteur d’ici 2030, nous avons à cœur d’offrir à nos clients des clés de lecture plurielles. Ce point de vue d’expert, partagé par Éric Briones dans le cadre de son ouvrage La Génération Z & Le Luxe (Dunod), complète parfaitement nos propres analyses.
Au-delà des grandes typologies déjà explorées, quelles nouvelles sous-cultures ou micro-tribus observez-vous au sein de la Génération Z qui pourraient redéfinir les codes du luxe ? Comment les marques peuvent-elles anticiper et intégrer ces influences pour rester pertinentes ?
Il y a trois typologies qui m’ont particulièrement inspiré dès le début de la conception de cet ouvrage, et qui ont été identifiées par nos étudiants contributeurs de la génération Z directement sur le terrain, notamment en Chine, mais pas uniquement.
- Les Sages de la Valeur Perçue
Ces consommateurs incarnent une rationalité extrême dans leurs décisions d’achat de produits de luxe. Ils évaluent le prix selon quatre dimensions : Produit, Expérience, Engagements et Personnalisation. Cette approche pragmatique n’est pas seulement propre à cette tribu, mais reflète une valeur largement partagée par la majorité des Z, incarné par cette loi mathématique pour eux : Valeur Perçue toujours supérieur au prix… sinon c’est la censure !
- Les Dupes Addicts
Ils ont bâti leur influence sur la recherche et l’usage des « Dupes ». Si la copie a toujours existé, la génération Z a transformé le porté des Dupes en un acte de fierté, une forme de jouissance personnelle et un défi au grand capitalisme. Pour eux, le Dupe est autant un symbole d’économie, qu’un acte de rébellion.
- Les Z Archivistes
Ces passionnés se distinguent par leur érudition en matière de mode. Ils célèbrent un passé glorieux, vénèrent l’artisanat et érigent le vêtement en œuvre d’art contemporain. Leur quête du sens et du patrimoine guide leurs choix.
Face à ces trois tendances, les marques de luxe doivent répondre de manière stratégique et éviter de « faire l’autruche ».
Pour les Sages de la Valeur Perçue, il est crucial de ne pas succomber à une politique de baisse des prix, qui serait suicidaire pour l’image du luxe. La réponse réside dans l’innovation produit : créer des « access-produits », condensant le meilleur de la qualité des maisons, à un prix compétitif mais non dévalorisant.
Pour les Z Archivistes, Vuitton semble être la maison la plus en phase avec cette mouvance. L’ambitieux reboot de la collaboration iconique avec Murakami ou encore le « défilé-exposition » de Pharrell Williams du 21 janvier illustrent une volonté de dialogue entre passé et présent.
Quant aux Dupes Addicts, trop de marques continuent d’ignorer ce phénomène. La réponse doit être systémique, au-delà des seules actions légales. Elle commence dès les boutiques, avec des vendeurs formés à enrichir leur argumentaire par un volet « durabilité ». Cet angle, souvent négligé, peut contrer l’attrait des Dupes en mettant en lumière l’impact environnemental de ces pratiques. C’est une bataille de longue haleine et un thème central que nous poursuivrons sur le Journal du Luxe en 2025.
La Génération Z, née avec le digital, aspire pourtant à des expériences immersives et authentiques. Comment les formes actuelles et émergentes du digital redéfinissent-elles l’expérience du luxe pour cette génération, et quelles opportunités pour les marques ?
Nous faisons face à la première génération véritablement Gen AI. Je le constate directement auprès de mes étudiants : leur utilisation de l’intelligence artificielle générative atteint 100 % dès le niveau Master, et 80 % dès la sortie du baccalauréat. Cette génération n’est pas paradoxale, et la notion de paradoxe elle-même s’avère inutile dans une approche opérationnelle vis-à-vis de nos clients.
C’est une génération du trompe-l’œil : sa philosophie technologique s’inscrit dans cette logique. Elle revendique un égalitarisme universel tout en exigeant d’être traitée comme des VIP. Pour répondre à cette attente de personnalisation extrême et traiter en VIP chacun des 300 millions de clients du luxe, l’industrie n’a pas d’autre choix que d’exceller dans l’utilisation expérientielle de l’intelligence artificielle.
Les maisons qui adoptent une posture anti-IA se révèlent soit démagogiques, soit totalement déconnectées des attentes de leurs clients. Les vertus de la crise du luxe actuelle est que nous somme enfin définitivement des visions « brand centric » à un pragmatisme « client centric », ce qui amène une vraie révolution dans le leadership des maisons.
Et justement comme la GenZ est souvent décrite comme privilégiant les expériences sur la possession matérielle, comment expliquez-vous leur engouement simultané pour les produits de luxe tangibles ? que reflète cette dualité vs les autres clientèles du luxe ?
Cela me rappelle une parodie de « film jeune bobo parisien » de Jérôme Commandeur pour Son monde magique sur Canal+, qui se terminait par cette phrase : « Choisir, c’est un peu mourir. » À mes yeux, la génération Z, avec son exigence extrême envers les marques, ne veut rien d’autre que le meilleur des deux mondes : physique et expérientiel. Cette exigence, soyons clairs, est contagieuse et influence déjà les autres générations.
Quand on observe leur fascination pour la dimension archiviste dont je parlais ou leur adoration pour les éditions papier des marques de luxe, devenues les nouveaux objets de culte sur leurs tables de salon, on comprend que les fantasmes d’une « dématérialisation totale » par le Web3 ont été largement enterrés par les Z.
Et sinon, le choix de cette couverture à la One Million, on en parle ?!
C’est amusant, je ne l’avais pas vu sous cet angle, je suis trop L’Oréalien, LOL. Cette couverture, qui fonctionne si bien auprès de la génération Z et en librairie (tiens un zogma) proposé par ma maison d’édition. Elle incarne le désir presque instinctif de cette génération pour le luxe, leur passion démesurée pour les codes des marques et, surtout… pour l’argent !
Enfin, je la trouve pleine de joie, de goût de la vie et d’optimisme tout comme notre ami Stéphane Truchi, dont le livre est dédié.