Pour poser un diagnostic toujours plus fin et plus précis de notre société, la Fondation Jean-Jaurès a lancé avec l’Ifop des enquêtes qualitatives et quantitatives approfondies, visant notamment à comprendre l’influence de l’appartenance à une communauté religieuse sur les comportements électoraux. Après La religion dévoilée (publié en 2014 sur l’évolution politique de l’électorat catholique) et Karim vote à gauche et son voisin vote FN (publié fin 2015 sur le vote des populations d’origine arabo-musulmane), la Fondation et les Editions de l’Aube publient un 3ème ouvrage intitulé L’An prochain à Jérusalem ?, qui met cette fois-ci l’accent sur le vote des Juifs français.
Jérôme Fourquet, Directeur du Département Opinion et Stratégies d’Entreprise de l’Ifop, et co-auteur de cet ouvrage, revient avec nous sur les principaux enseignements de ses recherches et analyses…
Après le vote catholique et le vote arabo-musulman, vous vous intéressez cette fois-ci avec la Fondation Jean-Jaurès au vote des Juifs français. Ce choix est-il lié aux actualités récentes qui ont bousculé la France ? Pourquoi avoir décidé de nommer ce livre « L’An prochain à Jérusalem » ?
Cet ouvrage s’appuie sur les résultats d’une grande enquête menée par l’Ifop qui s’inscrit dans un programme de recherche plus global sur l’impact de la variable religieuse sur les comportements électoraux. C’est une variable que nous observons à l’Ifop depuis de nombreuses années. Nous disposons par exemple de données sur l’influence du catholicisme qui remontent aux années 1950. Et si le poids des autres religions reste faible, cette variable semble néanmoins avoir une influence importante sur le vote. C’est dans ce contexte-là, et pour approfondir cette réflexion, que nous avons poursuivi nos recherches en s’intéressant à l’influence des autres religions, et notamment aux Français de confession ou d’origine juive.
720 personnes ont été interrogées, représentant 1,6% de la population française. Cette enquête a été engagée dès le printemps dernier et s’inscrit dans un travail de recherche global. Il n’y avait donc pas à l’origine de lien direct avec l’actualité. Toutefois, le contexte de ces derniers mois nous a donné envie de creuser l’impact de la montée de l’insécurité et des actes antisémites sur différentes facettes et angles sociologiques : l’angle électoral d’une part, mais aussi celui des stratégies résidentielles, du choix des écoles, les souhaits de départ pour Israël (qui ont par ailleurs beaucoup augmenté dernièrement) etc.
Enfin, nous avons choisi de nommer cet ouvrage « L’An prochain à Jérusalem ? » car c’est une formule répétée depuis des millénaires par les Juifs au moment de la Pâque et qui symbolise la sortie des Juifs d’Égypte. C’est donc une allusion aux nombreux départs et à ceux qui, dans le contexte difficile que l’on connait aujourd’hui, se posent la question de retourner en Israël.
En tant qu’expert de l’Opinion, certains enseignements issus de vos études et recherches vous ont-ils interpelés ? Quelles tendances vous ont le plus frappé ?
L’un des enseignements majeurs de l’enquête réside dans le nombre de personnes de confession ou d’origine juive qui envisagent de partir en Israël : 30% y pensent parfois et 13% y pensent sérieusement (soit 1 personne sur 8), ce qui est énorme et nous laisse penser que le mouvement de départ auquel nous assistons depuis 2 ans n’est pas prêt de se tarir.
Le second enseignement que nous retirons de cette analyse est qu’il existe un lien direct entre ce souhait de départ et l’exposition à l’insécurité. En effet, parmi les personnes juives déclarant avoir été agressées à cause de leur religion, 25% envisagent sérieusement le départ ; contre seulement 6% pour celles qui n’ont jamais été agressées pour des motifs religieux. Un désir d’expatriation qui est par ailleurs plus répandu que dans le reste de la population française.
Et l’actualité récente (attentats du 13 novembre 2015, tentative de meurtre sur un enseignant marseillais etc.) ne devrait hélas pas modifier cette tendance…
Quelles sont, selon vous, les conséquences politiques et sociétales de l’évolution du vote juif en France pour les années à venir ?
L’expression « vote juif », qui vient des États-Unis, laisse à penser qu’il n’y a qu’un seul vote juif et que celui-ci est stratégique car il permettrait de faire ou de défaire le résultat d’une élection. Or, nos travaux montrent que c’est une idée à relativiser car l’électorat juif pèse peu dans le corps électoral global et n’est donc pas décisif.
Bien que les personnes de confession juive votent plus à droite que la moyenne des Français, nous observons pour autant une diversité importante au sein même de cet électorat, se répartissant, certes inégalement sur les différentes orientations politiques. On ne peut donc, selon moi, pas parler d’un « vote juif » en tant que tel.
Les dernières tendances sont toutefois à la droitisation, puisque Nicolas Sarkozy a atteint 45% des voix au 1er tour de la Présidentielle de 2012 dans cet électorat, soit 18 points de plus que la moyenne nationale française. On observe également un développement du Front National, qui a récolté 13,5% des voix en 2012, alors que ces élections ont eu lieu juste après l’affaire Mohammed Merah.
Depuis il y a eu les émeutes de Paris et Sarcelles à l’été 2014, l’attaque de l’Hyper Casher en janvier 2015 et une multiplication des agressions dont la dernière à Marseille… soit autant d’éléments qui pourraient confirmer et/ou amplifier le phénomène de droitisation liée à la menace sécuritaire.
> Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de la Fondation Jean-Jaurès, ou téléchargez les résultats de l’étude Ifop.
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