Peut-on aimer un homme soutenant un candidat qui porte un discours ouvertement misogyne ? S’est-on déjà fait passer pour quelqu’un de progressiste (ex : féministe, LGBTfriendly…) afin d’arriver à ses fins ? De quelle façon les discordances d’opinion peuvent altérer ses relations affectives ? Les divergences de vote à l’élection présidentielle peuvent-elles être un motif de rupture au sein de son couple ? Alors qu’à l’approche du premier tour, les débats et questions politiques prennent une ampleur inégalée, l’Ifop publie une enquête tentant de mesurer l’impact de la campagne présidentielle sur la vie privée des Français(es). Réalisée auprès d’un échantillon de taille conséquente (2 000 personnes), cette étude menée pour Gleeden montre que les choix conjugaux des Français(es) n’échappent pas à une logique d’homogamie politique et que derrière un discours vantant le respect des différences d’idées, certains engagements « extrêmes » constituent de véritables « épouvantails » sur le marché matrimonial.
LES DIVERGENCES D’ORDRE POLITIQUE PEUVENT-ELLES ÊTRE UN FREIN A L’ETABLISSEMENT D’UNE RELATION ?
Les électeurs d’Éric Zemmour font l’objet d’un ostracisme particulièrement fort sur le marché matrimonial
Invités à exprimer leur degré d’attirance pour un(e) partenaire selon le vote qu’il/elle aurait à l’élection présidentielle, les Français(es) expriment massivement leurs réticences à l’idée de nouer une relation conjugale avec un électeur zemmourien : deux Français(es) sur trois (64%) – et jusqu’à 70% des femmes – refuseraient tout perspective de couple avec un partisan du polémiste, soit un rejet beaucoup plus fort que ce l’on observe pour des électeurs plus « modérés » – comme les électeurs Pécresse (37%), Macron (39%) ou Jadot (42%) – mais aussi pour d’autres électeurs « antisystème » comme peuvent l’être ceux de Jean-Luc Mélenchon (47%) ou de Marine Le Pen (55%).
Ce stigmate qui affecte les électeurs Zemmour tient pour partie au rejet massif dont font l’objet les personnes affichant des idées radicales et tout particulièrement des idées d’extrême-droite…
Dans les considérations de nature politique qui peuvent présider aux choix d’un conjoint, les personnes affichant des idées d’extrême-droite sont celles qui suscitent le plus de rejet (65%), légèrement devant les sympathisants d’extrême-gauche (57%) mais très largement au-dessus des partisans des autres courants d’idées (34% à 37%). Certes, ce genre de stigmatisation affecte toute personne affichant des idées « extrêmes » – extrême-gauche ou extrême-droite – mais force est de constater que les électeurs du président de Reconquête ! en souffrent beaucoup plus que les électeurs d’autres candidats « radicaux » en lice (ex : Marine Le Pen).
… mais aussi aux traits associés à la personnalité d’un candidat qui suscite un rejet spécifique probablement lié à son ultra-conservatisme sur les questions de société
Si l’aversion à l’égard des électeurs Zemmour dépasse l’hostilité de principe affichée à l’égard des sympathisants d’extrême-droite en général, c’est sans doute parce qu’on leur associe les positions conservatrices de leur candidat sur les sujets de société. Aux yeux des Français(es), l’électeur Zemmour apparaît, et de loin, comme l’électeur le plus « misogyne » (43%), « homophobe » (45%) ou « difficile à présenter » à des proches (36%). Dans une société de plus en plus sensible aux droits des femmes ou des LGBT, voter Zemmour constitue donc pour beaucoup un motif de disqualification sociale pour tou(te)s ceux et celles jugeant ses positions inconciliables avec leurs valeurs profondes.
Certes, le nombre de couples ne se nouant pas à cause de « divergences politiques » reste limité mais à l’avenir, la question risque de se poser de manière plus assidue si l’on en juge par la forte sensibilité des jeunes sur ce point
Dans les faits, le nombre de Français(es) qui ont effectivement renoncé, soit à nouer une relation avec quelqu’un alors même qu’il/elle leur plaisait (22%), soit à « ne pas approfondir une relation » (38%) parce que leur partenaire avait des opinions politiques différentes reste globalement mesuré en dehors des franges les plus progressistes de l’électorat (ex : féministes, extrême-gauche…). Mais les divergences d’ordre politique risquent de devenir de plus en plus un frein à l’établissement de relations durables si l’on juge par le nombre élevé de jeunes de moins de 25 ans ayant déjà renoncé pour ce motif à nouer une relation (50%) ou à « ne pas en approfondir une » (56%).
LA POLITIQUE DANS LE COUPLE : UN SUJET PARFOIS TABOU DANS LA PHASE DE SÉDUCTION ET QUI PEUT RESTER UN SUJET DE TENSION TOUT LE LONG D’UNE RELATION
Cette plus grande sensibilité aux convictions affichées par un(e) potentiel(le) partenaire va de pair avec l’essor de techniques de dissimulation de ses opinions durant la phase de séduction – comme le « wokefishing » – mais aussi de stratégies d’éviction du sujet dans les discussions de couple qui peuvent durer tout au long d’une relation.
Le “wokefishing”, une forme très genrée de dissimulation de ses convictions durant la phase de séduction
L’adoption de techniques de séduction fallacieuses consistant à dissimuler ses idées pour arriver à ses fins apparaît avant tout comme une pratique masculine. En effet, près d’un homme sur quatre (23%, contre 15% de femmes) admet avoir déjà dissimulé ses convictions politiques afin de séduire quelqu’un. Pratiqué en moyenne par près d’un Français(e) sur dix (11%), le « wokefishing » au sens littéral du terme est lui aussi une pratique très genrée : la proportion de personnes reconnaissant s’être fait passer pour quelqu’un de progressiste (ex : féministe, LGBTfriendly, antiraciste…) étant trois fois plus forte dans la gent masculine (16%) que féminine (6%).
Les divergences politiques, un sujet qui peut rester tabou tout le long d’une relation
Mais au-delà de la phase de séduction, les divergences politiques entre conjoints peuvent aussi constituer un sujet tabou tout le long d’une relation. Un Français(es) sur deux (48%) admet ainsi avoir déjà évité de parler politique avec un partenaire n’ayant pas leurs convictions politiques afin de ne pas créer des tensions au sein du couple. Et cette source de malaise peut aussi se faire ressentir sur la sociabilité du couple au regard du nombre significatif de personnes qui, pour ce même motif, ont déjà veillé à éviter de parler politique (39%) en présence de proches (ex : amis, parents…), voire ont même évité de présenter leur conjoint à leurs proches (30%) pour ce motif.
LA POLITIQUE, UNE SOURCE DE TENSIONS CONJUGALES QUI PEUT S’AVERER EXPLOSIVE POUR UN COUPLE EN PERIODE ELECTORALE
Ces stratégies d’évitement des conflits visant à préserver sa relation, notamment des turbulences inhérentes aux débats qui s’intensifient en période électorale, semblent toutefois plus difficiles à tenir durant une campagne présidentielle, notamment pour les jeunes couples qui paraissent alors plus exposés au risque de rupture.
Les divergences politiques, un motif de rupture qui peut beaucoup peser sur les jeunes couples
La proportion de Français(es) ayant déjà rompu une relation de couple en raison de leurs divergences politiques est globalement limité (20% en moyenne) mais elle masque des grosses différences en fonction de l’âge ou des affinités politiques. De même qu’ils accordent plus d’intérêt à ce sujet dans les critères présidant au choix de leur conjoint, les jeunes sont aussi beaucoup plus exposés aux risques de rupture conjugale qu’induisent des divergences politiques : 48% des jeunes de moins de 25 ans déclarent ainsi avoir déjà rompu avec quelqu’un à cause de ses opinions politiques, soit trois fois plus que les personnes âgées de 35 ans et plus (16%)
La « dissonance électorale » dans le couple, un facteur de rupture conjugale qui peut prendre de l’ampleur en cas de vote pour des candidats d’extrême-droite
Dans ce cadre, une campagne présidentielle apparaît comme une période à haut risque pour des couples pouvant être affectés par les turbulences inhérentes aux débats qu’elle peut provoquer au sein du couple. Révélateur du potentiel impact négatif que la politique peut avoir sur la vie privée, 42% des Français(es) déclarent aujourd’hui qu’ils/elles quitteraient leur conjoint s’il votait pour Éric Zemmour, sachant que leur proportion monte à 57% chez les femmes de moins de 25 ans. Le taux de rupture en cas de vote Le Pen est quant à lui plus limité (35%), notamment chez les jeunes, ce qui est sans doute la conséquence de la récente dédiabolisation de la candidate dans l’opinion.
Le point de vue de François Kraus de l’Ifop : Dans une société de plus en plus sensible aux droits des femmes, le soutien à un candidat aussi ouvertement misogyne qu’Éric Zemmour constitue un motif de disqualification sur le marché de la rencontre : le vote pour le polémiste suscitant une aversion dépassant largement l’hostilité traditionnellement affichée à l’égard des sympathisants d’extrême-droite. Véritables « épouvantails » sur le marché de la rencontre, les électeurs d’extrême-droite, et tout particulièrement ceux d’Éric Zemmour, semblent générer, en matière de choix matrimonial, une forme de « radical right marital gap » assez comparable au « radical right gender gap » qui, en sociologie électorale, désigne ce « sous-vote » qui affecte l’extrême-droite au sein de l’électorat féminin. Ce stigmate, au sens d’un “attribut qui est profondément discréditant” (Goffmann, 1963), n’est pas en soit surprenant – des travaux ont déjà montré le profond discrédit affectant les militants d’extrême droite dans leur vie sociale – mais cette enquête a le mérite de montrer qu’il se réfléchit aussi dans l’intime et leurs relations affectives.
CONTACTS :
François KRAUS, directeur du pôle « Politique / Actualités » de l’Ifop
Pour toute demande de renseignements à propos de cette étude ou pour obtenir des informations quant aux conditions de réalisation d’une enquête similaire, vous pouvez contacter directement François Kraus au 0661003776