L’enquête IFOP / INTEREL visant à consulter l’ensemble des parlementaires français a rencontré un vif intérêt. En effet, avec 153 interviews (notamment 86 députés et 60 sénateurs), c’est plus d’un parlementaire sur 6 qui a participé à la consultation.
Les résultats inédits collectés livrent les enseignements suivants :
1. Un parlement qui a fonctionné pendant le confinement, en dépit d’un recul perçu de sa place face à l’exécutif
En dépit de la période hors normes et inédite de confinement de la population, une majorité de parlementaires (56%) considère que leur assemblée a fonctionné de manière satisfaisante. Ce résultat masque pour autant un triple clivage au regard :
- du mandat exercé : près de trois quarts des Sénateurs estiment que leur assemblée a bien fonctionné tandis que 4 députés sur 10 expriment le même avis.
- de l’ancienneté au Parlement : 64% des parlementaires exerçant leur premier mandat jugent positivement le fonctionnement de l’Assemblée Nationale ou du Sénat. Inversement, à peine un tiers de ceux ayant exercé au moins 3 mandats considère que leur assemblée a bien fonctionné.
- de la couleur politique : les parlementaires LREM s’avèrent les plus nombreux à évaluer favorablement le fonctionnement du parlement pendant le confinement (69% vs 46% à gauche et 44% à droite).
Pour autant, les députés ou sénateurs quel que soit leur regard sur le fonctionnement de leur assemblée se retrouvent aux deux tiers sur un constat cinglant : la crise du Coronavirus a réduit le rôle et la place du Parlement au profit d’un exécutif prenant des mesures unilatérales. Seuls 34% des répondants (69% chez LREM vs 6% à gauche et 22% à droite) considèrent que le caractère exceptionnel de la crise n’a pas empêché le Parlement de conserver un rôle prépondérant, par exemple en étant amené à voter dès la fin avril sur le plan de déconfinement.
2. Un parlement qui doit s’inscrire, après la crise, dans la Cité, à travers une réforme de son fonctionnement et une évolution de ses méthodes de travail
La crise sanitaire et ses conséquences inouïes que le pays vient de vivre tend à accélérer spectaculairement les demandes visant à réformer le Parlement.
En premier lieu et corollaire de ce sentiment d’un affaiblissement du Parlement face au pouvoir central, les parlementaires placent au centre des réformes parlementaires à mener à l’avenir l’enjeu du contrôle de l’exécutif. Ainsi, une majorité de députés comme de sénateurs appellent de leurs vœux une réforme en profondeur du contrôle (56%) de l’action gouvernementale. Parallèlement, la quasi totalité des répondants juge utile un renforcement des outils permettant le contrôle et l’évaluation de l’action de l’exécutif. Cette attente d’évolution touchant à l’équilibre des pouvoirs dépasse nettement en intensité les réformes de fonctionnement plus techniques touchant à la vie parlementaire comme le travail en séance (37% de souhait de réforme) ou le travail en commission (30 %).
Par ailleurs, l’analyse des autres évolutions souhaitées pour le Parlement d’après crise révèle un refus des parlementaires de voir leur assemblée se complaire dans “un splendide isolement”. Il s’agit au contraire de la placer au contact des aspirations de la société civile. Ainsi, plus de trois quarts des répondants jugent utiles que leur assemblée se saisissent de sujets intéressant les Français via des pétitions citoyennes. 64% vont jusqu’à légitimer une plus grande place pour les citoyens dans le travail législatif à travers des conférences citoyennes.
Parallèlement, l’apport des experts dans ce travail législatif est majoritairement perçu comme utile, tandis que la place laissée aux représentants d’intérêt fait davantage débat (68% de jugement défavorable). Néanmoins, il est notable de constater que près d’un parlementaire sur trois jugerait utile que ces représentants d’intérêt aient une place plus grande dans le travail législatif.
Enfin, à l’instar de ce que l’Ifop a observé auprès de nombreux salariés, prêts à adopter de nouvelles méthodes de travail liées au confinement, les Parlementaires semblent s’approprier la tendance à une dématérialisation de leur activité. Ainsi, 50% d’entre eux envisagent de recourir davantage à des réunions à distance avec leur groupe parlementaire, 47% s’agissant de rendez-vous avec des représentants d’intérêt voire 43% avec des citoyens, loin de l’imaginaire du contact « direct » entre représentants et représentés.
3. Une feuille de route précise pour la France d’après : relocalisations, respect des engagements climatiques et refus d’un choc fiscal
Les parlementaires, au-delà de leurs sensibilités et trajectoires partisanes différentes, s’accordent de manière unanime sur les grandes leçons de la crise du Coronavirus avec un consensus très large sur la nécessité de reconstituer un système hospitalier efficient (98%) et à soutenir le pouvoir d’achat des professions en première ligne durant la crise du Covid (91%), une perception ressentie par un pourcentage identique de Français dans une récente enquête Ifop-Fiducial pour le JDD et Sud Radio. Mais par-delà ces aspects directement liés à la crise, les parlementaires semblent exprimer une feuille de route pour la France à peine déconfinée s’articulant autour de 3 axes :
- Restauration de la souveraineté via relocalisations et made in France.
Tous les répondants presque sans exception souhaitent que le pays tire profit de cette crise du Covid pour inciter à relocaliser les productions stratégiques (100% vs 91% pour l’ensemble des Français) et pour faire perdurer les habitudes de consommation made in France (99%, 92% dans le grand public). A cet égard, ces deux axes figurent en tête des objectifs devant figurer dans un projet de Loi de relance : 97% des parlementaires souhaitent retrouver dans un tel projet le retour de la souveraineté économique par le biais d’incitations à la relocalisation, 91% attendent un assouplissement de certaines règles européennes pour favoriser le made in France.
Pour autant, cette aspiration à une souveraineté économique renforcée n’est pas antinomique d’un redémarrage de l’Union européenne, perçu pour 80% des parlementaires comme une priorité. A cet égard, près des deux tiers des répondants inscrivent la souveraineté économique à l’échelle européenne, même si près d’un parlementaire de gauche ou de droite sur deux associe souveraineté économique au cadre hexagonal.
- Poursuite de la lutte contre le réchauffement climatique malgré l’émergence d’une « bataille d’Hernani » relance de l’économie / climat.
La crise du Covid-19 ne modifie pas fondamentalement l’adhésion à la lutte contre le dérèglement climatique. Ainsi près de 9 parlementaires sur 10 voit dans cette crise la nécessité d’accélérer la lutte contre le réchauffement tandis qu’est largement souhaité (83%) que des contreparties environnementales soient exigées aux entreprises qui bénéficieraient d’un plan de relance.
Pour autant, tout se passe comme si la puissance dévastatrice de la crise économique à venir faisait bouger les lignes. Placée face à l’alternative relance de l’économie versus respect des engagements en matière de climat, seule une courte majorité de parlementaires (58%) estime que la relance de l’économie ne doit pas se faire au détriment des engagements environnementaux. Ce ressenti s’avère majoritaire à gauche et chez LREM mais peu partagé à droite (29%).
- Engagement vers un nouvel acte de décentralisation.
Les enquêtes d’opinion menées auprès de l’ensemble des Français ont révélé à quel point l’Etat central a pu montrer des déficiences dans la gestion de la crise du coronavirus quand l’action des élus et instances territoriales a été saluée. Ces représentations imprègnent pleinement le discours et attentes des parlementaires. Ainsi, 72% d’entre eux (score identique dans le grand public) préconisent la prise en compte croissante des solutions locales portés par les élus des collectivités territoriales alors que 28% seulement appellent de leurs vœux un renforcement du rôle de l’Etat central.
Cela passe bien évidemment pour trois quarts des parlementaires par un nouvel acte de décentralisation permettant de donner de nouvelles prérogatives aux élus locaux.
Notons que ces attentes massivement exprimées par les parlementaires ne signifient en rien que ces derniers s’inscrivent dans une logique de tabula rasa.
Ainsi, les projets de réformes du gouvernement, votées ou envisagées avant la crise sanitaire font rarement l’objet d’un souhait de report ou d’annulation. Une majorité appelle de ses vœux le maintien du projet de Loi sur le grand âge et l’autonomie (86%), de programmation pluriannuelle de la recherche (82%) ou à degré moindre celui sur la sécurité intérieure (56%). Seule la réforme des retraites suscite des demandes d’annulation pure et simple (46%) ou de report sine die (36%)
Enfin, un consensus se dégage chez les parlementaires au sujet du financement des moyens consacrés à la relance de l’économie. Faisant fi d’une certaine orthodoxie budgétaire, plus de huit répondants sur dix considèrent que la hausse des dépenses publiques permettant d’amortir le choc économique de la crise doit être poursuivie quitte à accélérer le creusement de la dette. Ce souhait est porté par la quasi-totalité des parlementaires de gauche (94%), 86% des LREM et par près des deux tiers à droite. Ici aussi, c’est le refus d’un choc fiscal de type 2011-2013 que sous-tend cet unanimisme des réponses.
Pour autant, en matière de recettes fiscales à venir, la quasi-totalité des répondants (97%) exprime le vœu d’une taxation des plateformes numériques et notamment des GAFA, tandis qu’une nette majorité considère qu’un projet de loi de relance devrait inclure la surtaxation des entreprises qui auraient fait des bénéfices durant le confinement (57%, voire 72% chez les sénateurs).