Ifop a mené une étude pour comprendre les motivations et les usages de l’écoute de podcasts en France. Si cette pratique ne s’est pas encore démocratisée (3 millions de Français en écoutent tous les jours), le niveau d’engagement que témoignent les podcasteurs est prometteur, et notamment celui vis-à-vis des podcasts natifs (conçus spécifiquement pour une écoute en ligne, sans diffusion à la radio).
Au-delà de son potentiel, l’émergence du podcast est particulièrement intéressante tant elle s’appuie sur des tendances de consommation et de comportement de plus en plus présentes dans notre société.
#1 – Schizophrénie numérique : Révélateur du rapport ambivalent qu’entretiennent les Français avec l’hyper connexion.
L’écoute de podcast met en avant deux facettes assez contradictoires mais très révélatrices des Français dans leur rapport à la consommation numérique.
- Optimisation du temps : Côté face, un accès à l’information qui s’est considérablement accéléré au cours des dernières années avec les arrivées successives de la presse en ligne, du smartphone, des notifications et des réseaux sociaux, entraînant les consommateurs dans son tempo. Sous certains aspects, le podcast répond à l’expression de ce FOMO (fear of missing out) en proposant à l’utilisateur d’accéder à des contenus à des moments qui restaient vierges à toute exposition. Prendre les transports en commun, marcher dans la rue, faire du sport… toutes ces activités peuvent désormais être « bonifiées » par l’écoute d’un podcast. Cette quête d’optimisation du temps est symbolisée par les 59% d’auditeurs de podcasts natifs qui en ont déjà écouté en accéléré (le débit des échanges est multiplié par 1,2 / 1,5 ou même 2)1. L’objectif devient clair : faire rentrer un maximum d’informations en un minimum de temps. Ces pratiques s’inscrivent plus largement dans le phénomène d’oralisation que traverse notre société, symbolisé par le développement concomitant des assistants vocaux, des enceintes connectées ou encore des messages audio de plus en plus fréquemment laissés sur les applications de messagerie. La souplesse d’utilisation de la voix ouvre de nouvelles perspectives de consommation de contenus et donc d’optimisation du temps.
- Ralentir : Côté pile, et en réaction à cette course à l’hyper information, 73% des Français expriment le besoin de « revenir à l’essentiel, se concentrer sur ce qui compte vraiment pour eux » selon l’observatoire de Sociovision2. En témoigne par exemple l’explosion du nombre de pratiquants de Yoga (2,6 millions en 2019 vs 1,8 millions en 2017) ou de méditation. L’écoute de podcasts s’inscrit, à certains égards, dans cette mouvance. Pour 71% des auditeurs, « écouter un podcast, c’est entrer dans une bulle, un moment rien qu’à soi »1. Ecoutés à 82% avec un casque1, l’immersion dans ces contenus audio répond à ce besoin de s’extraire de son environnement. Autre chiffre éloquent de l’étude, 46% des auditeurs déclarent qu’il leur arrive de ne rien faire en écoutant un podcast1, signe que, pour une partie, ce format est plus qu’un média de remplissage ou d’accompagnement. Il peut devenir un moment pendant lequel l’auditeur pose son attention sur un contenu qu’il juge suffisamment qualitatif. En témoignent les motivations à écouter en podcast natif : après la gratuité, c’est la possibilité de creuser plus en profondeur des sujets qui les intéressent le plus.
En étant à la fois le média de l’optimisation et celui de l’approfondissement, le podcast épouse les aspirations contradictoires des Français.
#2 – Refus des standards : La réponse à une aspiration à un traitement singulier
Comme l’écrit le politologue Jérôme Fourquet, la France est en voie « d’archipélisation », modèle dans lequel les standards, les référentiels communs s’effacent au profit d’une mosaïque d’identités et d’aspirations différentes. Le besoin d’exprimer sa singularité est de plus en plus fort. Selon l’observatoire de Sociovision2, 64% des Français préfèrent « les gens qui ne se sentent pas obligés d’être toujours comme les autres ». Une proportion qui progresse de 9 pts en 10 ans, et de 30 points en 40 ans !
Les podcasts natifs s’appuient sur des caractéristiques permettant de s’adresser à des communautés d’intérêt très restreintes et de tisser un lien de proximité et d’intimité très fort avec elles. Le relatif faible coût de production d’un podcast a permis d’atteindre en très peu de temps une offre à la profondeur incroyable. Musique, humour, culture générale, sciences, santé, cinéma, sport mais aussi criminologie, religion, sexologie ou encore… Michel Sardou (le podcast « Stockholm Sardou » revient en 36 épisodes sur le « phénomène Sardou »), il est difficile de ne pas trouver un podcast qui réponde à ses centres d’intérêt, notamment les plus niches.
Par ailleurs, les références du podcast natif en France se sont emparés de sujets de société émergents que les médias dominants ne pouvaient traiter qu’avec une légitimité limitée. Contenu phare du studio Binge Audio, « Les couilles sur la table » évoque par exemple la masculinité depuis 57 épisodes d’une cinquantaine de minutes. Menant à une autre caractéristique des podcasts qui leur confère un atout considérable : la légitimité. Les acteurs de ces contenus, le plus souvent passionnés par un sujet dont ils ont l’opportunité de parler avec une liberté quasi-totale, les évoquent avec un niveau d’expertise mêlé à un enthousiasme qui crée une écoute très affinitaire et extrêmement engageante. Dans cette période de défiance croissante vis-à-vis de la parole médiatique, la légitimité portée par ces contenus leur confère un atout considérable.
#3 – Mobilité : Émanation de la demande de ATAWAD
Les podcasts natifs sont les premiers contenus audiovisuels dont la durée, les formats, le ton ou encore les sujets ont été originellement conçus pour une utilisation totalement nomade et à la demande, matérialisant l’aboutissement de la délinéarisation de la consommation média amorcée depuis plusieurs années. Le Replay TV symbolisait le « Anytime », les plateformes de SVOD ont accentué le « Anydevice » avec une montée en puissance de la consommation sur smartphone, mais le podcast est le premier contenu conjuguant à ce point les 3 composantes de cet acronyme en y ajoutant le « Anywhere ». Quibi tentera de répondre à cette même attente avec le format vidéo : ce service de SVOD américain qui a été lancé début avril ne proposera que des contenus pensés sur smartphone et tablettes : durée de 10 minutes maximum, visionnables en plein écran que l’appareil soit en position verticale ou horizontale.
#4 – Nouvelle voix des marques : Un laboratoire pour inventer une nouvelle relation entre marques et consommateurs
Soucieux de l’impact social et environnemental des entreprises, excédés par les publicités (78% ne supportent pas d’être sollicités en permanence par les marques, + 13pts vs 20112), en 2020, les consommateurs demandent aux marques 1) de changer leur comportement 2) d’en apporter les preuves 3) de le faire avec originalité. Une équation difficile à résoudre pour des marques et des médias qui se sont bâtis en d’autres temps, sur d’autres attentes et qui doivent se réinventer sous l’œil de consommateurs de plus en plus attentifs et partie prenante via les réseaux sociaux. Au contraire, les nouveaux entrants ont nativement intégré ces attentes et sont donc exonérés de cet examen de conscience, qu’ils soient de nouvelles marques ou, dans le cas présent, de nouveaux médias.
Nous l’avons dit, le podcast s’est forgé sur des phénomènes de société qu’il a su traiter avec crédibilité et dont il porte organiquement les revendications. Son modèle économique reste à créer et devra se faire en harmonie avec les attentes de l’époque qui l’a vu naître. Aussi, s’avance-t-il comme un laboratoire des nouvelles manières d’interagir avec son auditeur/consommateur. Les podcasts de marques en sont un bon exemple. A travers un format souvent long de plusieurs épisodes et sans visée commerciale, ils permettent à ces dernières de s’adresser à leur audience via un nouvel angle, un nouveau ton, travaillant leurs valeurs, prouvant leur authenticité en expliquant par exemple en profondeur ses process (34 minutes pour Coca-Cola afin d’expliquer sa politique RSE dans le podcast « l’empreinte ») ou en montrant tout simplement qu’elle est en résonance avec son audience (Exemple de la série « Libre(s) » développé par Tinder et Nouvelles Ecoutes sur le rapport des 18-25 ans à la liberté via des interviews par une YouTubeuse).
Si le podcast continue de se développer, toutes les nouvelles formes de communication mises en place par ce média seront intéressantes à suivre.
#5 – Screen Free : L’alternative salvatrice aux écrans
Pas d’écran avant 6 ans martèlent les pédiatres et le personnel scolaire ! La place prépondérante de ces rectangles lumineux dans notre vie quotidienne, et notamment dans celle de nos enfants, est une préoccupation grandissante. Une problématique qui laisse beaucoup de parents de moins de 14 ans démunis puisque « limiter le temps d’écran » est la mesure qu’ils considèrent la plus « difficile » à appliquer dans leur foyer.
Dans cette atmosphère de défiance vis-à-vis des écrans et plus généralement de la culture de l’image qui s’est développée très fortement depuis une vingtaine d’année, l’audio sonne comme une alternative séduisante. La période de confinement que nous traversons en est un bon révélateur. De nombreux articles de presse ont répertorié des activités éducatives et récréatives pour venir en aide aux parents dans leur nouvelle vie de nounou/instituteur/enseignants. Cette liste de bonnes pratiques était souvent précédée du titre « Occupations sans écran » ou encore « Comment gérer le temps d’écran ». Au sein de ces conseils et contenus proposés, les podcasts (comptines, histoires, quizz…) occupaient toujours une place de choix, tel un palliatif efficace, presque un remède à l’aliénation de nos progénitures.
Le confinement a pu ralentir une partie de la consommation de podcasts qui est très corrélée au volume de nos déplacements, mais il est probable que certains foyers aient découvert ce format à la faveur de cette recherche d’occupation « screen free » pour leurs têtes blondes… avant de s’y mettre à leur tour une fois le confinement levé ?
1 : Etude IFOP réalisée du 29 octobre au 12 novembre 2019, disponible en souscription. Plus d’information ici
2 : Observatoire de Sociovision 2019
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