Avec la fermeture des bars, des cafés et des restaurants, la crise du Covid-19 a restreint drastiquement l’offre de sanitaires disponibles au point de rendre plus que jamais compliqué l’accès aux WC dans l’espace public. Alors que ce problème ne sera atténué qu’avec la réouverture des terrasses des bars et restaurants, une enquête de l’Ifop pour Diogène France montre que cette question n’est pas seulement un enjeu de santé publique mais aussi une problématique de genre : l’anxiété liée à l’usage des WC apparaissant, par son ampleur comme par ses conséquences sur la santé, comme un trouble d’anxiété sociale pesant tout particulièrement sur la gent féminine.
I – L’ACCÈS AUX WC S’AVÈRE TRES COMPLIQUÉ DEPUIS L’ÉCLATEMENT DE LA CRISE SANITAIRE, NOTAMMENT POUR LES FEMMES
Avec la fermeture des bars, des restaurants et de la plupart des centres commerciaux, la crise du Covid-19 a restreint fortement l’offre de sanitaires disponibles dans l’espace public. La conséquence en est que près de la moitié des Français (45%) n’ont pas pu soulager facilement une envie pressante ces douze derniers mois : les femmes ayant été plus nombreuses (51%) que les hommes (41%) à avoir souffert d’un manque d’accès à des toilettes.
Mais la crise du Covid-19 ne fait que mettre en lumière un problème structurel – la faiblesse de l’offre de toilettes hors domicile en France – largement identifié par l’opinion publique, notamment dans les grandes villes. En effet, le sentiment de difficulté d’accès à des WC publics est aujourd’hui partagé par près de deux Français sur trois (66%) – notamment en agglomération parisienne (80%) – qui rejoignent en cela la très forte proportion de sondés (76%) qui se plaignent du « nombre insuffisant » de toilettes publiques dans leur commune ou leur agglomération.
Cependant, le mécontentement de la population ne tient pas qu’à une question de quantité : il résulte aussi d’un problème de qualité des infrastructures sanitaires si l’on en juge par la proportion élevée de Français(es) qui dénoncent la saleté (60%), l’odeur (56%) ou le manque de sécurité (52%) régnant dans les toilettes publiques de leur commune ou de leur agglomération.
Or, cette perception négative des WC publics n’est pas sans conséquences sur leurs usages, notamment par la gent féminine. La saleté des WC publics pousse ainsi près de deux tiers des femmes (62%, contre à peine 28 % des hommes) à adopter une position d’équilibre afin que leur peau ne touche pas la lunette des toilettes alors qu’à l’inverse, la gent masculine semble beaucoup moins gênée à l’idée de s’assoir sur des toilettes publiques : 75% le font généralement dont un quart (25%) directement sur la lunette.
II – LE « POOP-SHAMING », UN PROBLEMATIQUE DE GENRE
Ce rapport très genré aux toilettes publiques se retrouve plus largement dans la façon dont les deux sexes appréhendent l’usage des lieux d’aisance dans des endroits (ex : amis, travail, conjoint…) ne leur offrant pas une totale intimité.
La gêne à l’idée de déféquer dans des situations de non-intimité est ainsi systématiquement plus forte dans la gent féminine (56%) que masculine (42%) : les femmes étant par exemple près deux fois plus nombreuses que les hommes à se dire gênées à l’idée de faire caca sur leur lieu de travail (42% contre 26% des hommes) ou chez des amis (39% contre 25% des hommes). Et cette gêne est particulièrement vivace chez les jeunes femmes de moins de 30 ans (75%, contre 41% des plus de 60 ans), peut-être parce que elles sont encore imprégnées des normes de propreté inculquées dans l’enfance et/ou plus obsédées par l’image qu’elles peuvent renvoyer d’elles… Sur ce point, on notera que si le bruit et l’odeur constituent les principales raisons de leur gêne à aller à la selle pour les deux sexes, les femmes s’avèrent, elles, plus gênées à l’idée qu’on puisse les imaginer aux WC : 63 % des femmes (contre 54 % des hommes) expliquant leur gêne aller aux toilettes par leurs souhaits que personne ne les imagine à la selle.
Mettant en exergue les différences de conditionnement de genre, le “poop-shaming” (ou « honte du caca ») apparaît donc non seulement comme un phénomène socio-psychologique d’ampleur mais qui touche aussi particulièrement les femmes.
Ce « gender gap » transparaît aussi dans la prévalence de la parcoprésie (également appelée « rétention fécale psychogène »), c’est-à-dire l’incapacité de déféquer sans un certain niveau d’intimité. En effet, l’incapacité à déféquer dans les différentes situations testées par l’Ifop affecte plus des tiers des femmes (69%) contre à peine un homme sur deux (48%). La parcoprésie apparaît ainsi comme un trouble d’anxiété sociale affectant aujourd’hui une majorité de femmes sur leur lieu de travail (53%, contre 32% des hommes), chez des amis (53%, contre 32% des hommes) ou chez un nouveau partenaire sexuel (56%, contre 30% des hommes).
Or, ces formes de rétention fécale ne sont pas sans conséquences fâcheuses pour la santé intestinale des personnes s’empêchant d’aller aux toilettes. En effet, la rétention des selles va de pair avec une forte prévalence de troubles fonctionnels intestinaux qui, très logiquement, affectent plus fortement la gent féminine. Les femmes affichent ainsi des taux de constipation (41%, contre 18% des hommes) ou de troubles de la digestion (38%, contre 22% des hommes) deux fois plus élevés que les hommes. De même, elles sont beaucoup plus exposées que les hommes à des crises régulières de diarrhée, ou des processus de défécation douloureux (22 %, contre 11 % des hommes). En revanche, on observe moins d’écart entre les deux sexes pour des problèmes plus lourds comme les problèmes d’irritation du colon ou les maladies inflammatoires de l’intestin.
III – L’ACTIVITÉ EXCRETOIRE : UNE SOURCE DE TENSIONS ET DE TABOUS AU SEIN DU COUPLE
Les WC dans le couple : une source de gêne
Symptomatique de cette gêne liée à tout ce qui touche à la région génito-anale, des techniques pour masquer le bruit et l’odeur au sein du foyer conjugal sont souvent utilisées, notamment par les femmes.
Ainsi, quatre Françaises sur dix (39%) ont déjà attendu que leur partenaire dorme ou soit loin des WC pour s’y rendre, contre à peine plus du quart de la gent masculine (27%). Les femmes sont également plus nombreuses à fermer d’autres portes que celles des toilettes pour atténuer le bruit (43% contre 40%), à mettre du papier dans l’eau pour amortir le bruit des selles (40% contre 36%) ou encore à élever le son de la musique ou de la télé (34% contre 26%). Craquer une allumette pour dissiper les odeurs reste plus marginal chez les hommes (17%) comme chez les femmes (12%).
Les WC dans le couple… L’homme salit, la femme nettoie
Ce rapport différencié aux WC en fait une source de tensions conjugales, qui tient notamment au fait que la femme joue souvent le rôle de « gardienne » de la propreté des toilettes du foyer alors que l’homme est souvent à l’origine des salissures.
Près d’un homme sur deux (49%, contre à peine 11 % des femmes) a déjà subi des critiques pour ne pas avoir relevé ou abaissé la lunette des toilettes. De même, ils sont environ quatre sur dix à s’être déjà vu reprocher de ne pas avoir changé le rouleau de papier toilette (38%, contre 24% des femmes), de ne pas avoir aéré ou désodorisé les WC après leur passage (39%, contre 19% des femmes) ou de ne pas avoir tirer la chasse d’eau.
Et au laisser-aller dont peuvent faire preuve certains hommes s’ajoute le fait que le nettoyage des WC de la maison reste beaucoup plus une tache effectuée par les femmes (73%) que par les hommes (20%).
Un malaise qui n’affecte pas tous les couples…
Si le passage à l’acte reste un sujet tabou – seul un tiers des personnes interrogées ont déjà fait leurs besoins dans les WC d’une salle de bain en présence de leur conjoint -, en parler au sein du couple semble moins compliqué pour les Français puisque 59% des femmes et 56% des hommes ont déjà évoqué avec leur partenaire le fait d’être allé aux toilettes ou abordé les problèmes rencontrés avec leurs selles. En revanche, les gaz posent moins de soucis au sein des couples que les « grosses commissions » : une majorité d’hommes (59%) mais aussi une proportion significative de femmes (42%) reconnaissant avoir déjà lâché intentionnellement une flatulence devant leur partenaire.
Le point de vue de François Kraus, directeur du pôle Genre, Sexualité et Santé Sexuelle à l’Ifop :
Le déficit actuel de l’offre sanitaire constitue non seulement un enjeu de santé publique qui devrait s’aggraver avec le vieillissement de la population mais aussi un problème qui met plus largement en évidence les inégalités de genre affectant la santé des femmes jusqu’au plus profond de leur intimité. En effet, les résultats de cette enquête montrent que l’anxiété liée à l’usage des WC n’est pas un sujet futile pouvant prêter à sourire, mais bien un phénomène socio-psychologique dont l’ampleur et les conséquences sur la santé intestinale peuvent être considérables pour la population en général et pour la gent féminine en particulier. Mettant en lumière l’impact que les stéréotypes de genre et les normes de féminité – culturellement associées la pureté et la propreté – peut avoir sur le rapport au corps, les résultats de cette étude soulèvent donc la question du « système de deux poids deux mesures en vertu duquel les femmes sont jugées plus négativement pour avoir révélé [qu’]elles défèquent elles aussi »[1]. En cela, ils posent le problème des modèles de bienséance auxquels les femmes doivent se conformer dans une société où elles sont socialisées pour considérer l’excrétion non comme une activité naturelle mais comme une source de dégout incompatible avec la notion de féminité. A l’heure où la nouvelle vague féministe porte le combat de la réappropriation du corps des femmes par elles-mêmes, le rapport au caca apparaît donc comme un marqueur de distinction entre les sexes qui légitime lui aussi une critique de la pression à la perfection et la « pureté » qui pèse sur les femmes.
François Kraus, directeur du pôle Genre, Sexualité et Santé Sexuelle à l’Ifop
POUR CITER CETTE ÉTUDE, IL FAUT UTILISER A MINIMA LA FORMULATION SUIVANTE :
« Étude Ifop pour Diogène-France.fr réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 9 au 12 avril 2021 auprès d’un échantillon de 1010 personnes, de la population française âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine»
CONTACTS :
François KRAUS, responsable de l’expertise « Genre, sexualités et santé sexuelle » à l’Ifop
[1] Nick Haslam, Psychology in the Bathroom, Palgrave Macmillan, 2012
Cette étude a été menée sous la direction de François Kraus, directeur du pôle “Politique / Actualités” de l’Ifop, en partenariat avec l’agence Flashs. Pour toute demande de renseignements à propos de cette étude ou pour obtenir des informations quant aux conditions de réalisation d’une enquête du même type, vous pouvez contacter directement François Kraus au 0661003776 – francois.kraus@ifop.com .