1. Des Français inquiets et démunis face au contexte de crises protéiformes et complexes
Huit mois après la dissolution de l’Assemblée nationale et face au contexte de blocage politique en résultant, la quasi-totalité des personnes interrogées juge la situation politique hexagonale à la fois complexe et inquiétante.
À ce ressenti s’ajoute un constat alarmant sur l’état de la société et de sa cohésion : huit Français sur dix considèrent que le lien social a perdu en 20 ans de sa solidité (82%), tandis qu’une proportion quasi identique juge que le niveau de violence a augmenté (80%).
Dans ce contexte, l’anticipation d’un risque d’explosion sociale concerne le chiffre record de 86% des personnes interrogées. Plus précisément, dans la palette des crises susceptibles de survenir, une part peu ou prou équivalente pronostique un nouveau mouvement des agriculteurs (87%), des émeutes dans des quartiers populaires (82%) et un « mouvement bis » des Gilets jaunes (77%). Par ailleurs, quatre Français sur dix anticipent des crises d’une ampleur inédite, telles qu’une guerre civile (42%) ou l’assaut des institutions républicaines (39%), à l’image de celui du Capitole. L’exceptionnel – guerre civile ou prise d’assaut de l’Élysée ou de l’Assemblée nationale – devient désormais une hypothèse probable dans l’esprit des Français.
Enfin, et peut-être pour la première fois sous la Ve République, la capacité des institutions à garantir la stabilité politique est remise en question : 60 % des Français doutent de leur capacité à remplir cette mission.
2. Une opinion publique pleinement consciente de la menace islamiste
Dans ce contexte anxiogène, l’enquête IFOP pour Agir Ensemble révèle une opinion publique très consciente du phénomène islamiste et rarement traversée par le déni, à l’exception notable des plus jeunes générations.
Ainsi, 84% des Français déclarent ne pas apprécier l’islamisme, un terme néanmoins perçu positivement par 30% des moins de 25 ans et 36% des sympathisants de la France insoumise. Dans le discours spontané, ce courant est systématiquement associé à un univers répulsif, marqué par la violence à travers le terrorisme, l’extrémisme et l’intolérance. De même, la notion de radicalité, rejetée par 89% des Français, est spontanément rattachée aux mêmes connotations d’extrémisme et de violence.
L’islamisme est par ailleurs perçu comme un phénomène dynamique, voire expansionniste. Il est jugé en progression dans de nombreux milieux et institutions, notamment dans les quartiers populaires (72%), les prisons (70%), mais aussi au sein de l’école (63%), de l’université (56%) et même des clubs sportifs (52%). Cependant, cette perception est moins marquée chez les jeunes de 18 à 24 ans. En effet, seuls 34% d’entre eux considèrent que l’islamisme est en progression dans les quartiers populaires, et 36% estiment qu’il progresse dans les écoles.
Dans ce contexte, l’Islam est perçu par une majorité des personnes interrogées comme la religion adoptant les positions les plus radicales (63%), loin devant le Judaïsme (23%) et le Catholicisme (16%).
Pour autant, l’opinion opère une distinction claire et sans amalgame entre Islam et islamisme. Ainsi, des pratiques telles que la prière cinq fois par jour ou l’interdiction de l’alcool sont majoritairement considérées comme relevant d’un Islam modéré. À l’inverse, des pratiques comme l’imposition du jeune du ramadan aux enfants, le voilement des fillettes, le refus de serrer la main d’une personne du sexe opposé ou encore la condamnation de la musique ou de la danse sont massivement appréhendées comme des manifestations de l’idéologie islamiste.
3. Des menaces extérieures ayant une influence sur le climat intérieur français
Dans un contexte où les Français manifestent une inquiétude croissante vis-à-vis des foyers de tension internationaux, la menace que font peser ces derniers est clairement exprimée par les personnes interrogées. 84% d’entre elles estiment que l’Hexagone est exposé à des menaces ou pressions venant d’autres pays. À cet égard, la cartographie de la menace fait l’objet de réponses convergentes : la Russie (81%) et l’Iran (70%) puis un ensemble de pays arabo-musulmans (notamment la Syrie, l’Afghanistan et l’Algérie à 62%), sont pointés comme des foyers de menace. Dans ce contexte, les jeunes de 18 à 24 ans sont également moins nombreux à percevoir les pays musulmans comme une menace pour la sécurité de la France. Ainsi, 55 % considèrent l’Iran comme une menace, 48 % la Syrie, et 38 % l’Algérie.
Notons que les États Unis de Donald Trump apparaissent majoritairement comme une menace (57%), un ressenti inédit à relier plus largement au fait que trois quarts des répondants pronostiquent que le président américain va contribuer à déstabiliser l’ordre international. Le regard sévère porté sur Donald Trump n’empêche pas 70% d’entre eux de reconnaître au président américain de l’autorité, un résultat à relier à une réelle demande d’autorité pour la France.
4. Des fractures internes minant la cohésion nationale…
Lorsqu’on leur demande d’évaluer les facteurs contribuant à la division du pays, les Français citent majoritairement les fractures religieuses et celles liées au multiculturalisme, qui apparaissent comme plus prégnantes que les divisions socio-économiques et politiques. Notons que les fractures territoriales ou générationnelles, souvent mises en avant dans les médias, sont mentionnées de manière marginale.
L’appréhension des facteurs menaçant la cohésion sociale répond à la même logique: les inégalités de revenu certes fortement citées (80%) émergent symboliquement derrière l’évolution de la délinquance et la question migratoire (notamment la concentration de populations d’origine similaire dans certains quartiers et l’évolution de l’immigration). Le primat de ces deux dimensions est à rattacher au lien désormais opéré par les Français entre insécurité et immigration.
5. …mais des acteurs de confiance et de réassurance pour garantir sa pérennité
Malgré les périls évoqués, les Français parviennent à se projeter dans des moments et des symboles capables de rassurer quant à la cohésion du pays. Il s’agit d’éléments aussi divers que la solidarité nationale lors d’attaques terroristes, les fêtes nationales rappelant l’Histoire hexagonale, ainsi que les grands événements internationaux organisés dans le pays, tels que les Jeux Olympiques et la réouverture de Notre-Dame (de 81% à 73% des répondants considèrent qu’ils contribuent à renforcer la cohésion nationale). Notons que le triptyque républicain ou la laïcité émergent dans un second temps.
Surtout, la croyance des Français en la cohésion de leur pays repose sur des acteurs de confiance, à savoir et principalement les Maires (contribution à la cohésion du pays : 75%) qui devancent d’au moins 30 points tous les acteurs de la sphère nationale. De la même manière, la confiance de l’opinion se cristallise sur les services publics (hôpital, armée et école) et leur capacité à tenir le pays.
À l’inverse et venant confirmer de nombreuses enquêtes, les forces politiques ne semblent plus pour les Français être en situation de jouer leur rôle traditionnel de contributeur à la cohésion de la France. Aucune formation n’est créditée d’un score de confiance majoritaire, même si les partis historiques de gouvernement tangentent les 50%.
Dans ce contexte, il faut noter que le positionnement de la France Insoumise semble s’enferrer dans le rôle du repoussoir. 83% des Français considèrent que le mouvement mélenchoniste contribue à la division du pays. Pour eux, LFI est aussi et de loin, la formation politique la plus radicale (avec 69% des citations) et 84% d’entre eux affirment ne pas faire confiance à la France Insoumise pour lutter contre l’islamisme.
A contrario, le RN longtemps accusé de monter les Français les uns contre les autres est désormais associé par 39% des interviewés à une dimension de cohésion pour le pays.
6. Des solutions empreintes de fermeté
Face aux dangers extérieurs et intérieurs, l’opinion partant du constat très largement partagé (85%) que les valeurs de la République ne sont pas respectées, exprime une attente – le souhait d’une lutte contre les communautarismes (84%) – et une méthode : le retour de l’autorité (83%). Dans ce contexte, trois quarts des Français jugent inefficace la législation actuelle pour lutter contre les menaces à la sécurité du pays, au premier rang desquelles celles faisant peser les obligations de quitter le territoire français (OQTF).
Mais au-delà de ces principes, se font jour des fractures générationnelles et politiques sur des évolutions en forte rupture avec la situation actuelle. Ainsi, seule une courte majorité adhère à la suppression du droit du sol (54%, mais seulement 42% à gauche contre 68% à droite) ou à la sortie de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) (52% avec 34% à gauche contre 66% à droite).
Frédéric Dabi
Directeur Général Opinion du Groupe Ifop
Conclusions
Les Français considèrent que la capacité à vivre ensemble est plus fragile qu’il y a 20 ans. Bien que les valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité, laïcité) conservent, selon eux, une capacité à assurer la cohésion du pays, un tiers des Français pensent néanmoins que ces valeurs ne suffisent plus à maintenir cette cohésion.
Cette capacité à vivre ensemble est moins menacée par les fractures économiques et sociales que par les fractures religieuses et celles liées au multiculturalisme. Les Français se montrent particulièrement soucieux de maintenir une certaine distance entre le religieux et l’espace public. Sans faire d’amalgame entre l’Islam et l’islamisme, 68 % des Français jugent que l’Islam occupe une place excessive dans l’espace public, contre 28% pour le Judaïsme et 14% pour le Catholicisme et le Protestantisme.
Bien que la vision universaliste reste dominante (55% des Français estiment que la société doit considérer les individus comme des citoyens de la nation, indépendamment de leur culture d’origine), 45% d’entre eux sont sensibles à une vision plus multiculturaliste.
Enfin, l’attente d’autorité et la demande de réaffirmation des valeurs républicaines sont fortes. Les Français semblent relativement ouverts à des aménagements du cadre législatif, à condition de ne pas remettre en cause l’état de droit.
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