L’esthétique occupe une place croissante dans notre société, et les bureaux n’échappent pas à la règle. Alexia Abtan, Directrice des investissements et de l’innovation SFL et Frédéric Dabi, Directeur général Opinion Ifop explorent l’importance du « beau » dans les bureaux, à la fois en tant que facteur d’attractivité pour les salariés et reflet de l’identité de l’entreprise pour son 11ème baromètre Paris Workplace.
Vous avez décidé de vous interroger sur l’importance de l’esthétique dans l’environnement de travail : pourquoi ce choix ?
Frédéric Dabi : C’est le sens de l’histoire ! L’évaluation d’un bureau, qu’on y travaille ou qu’on le visite, se fait souvent sur des critères esthétiques. Là où la logique de résultat prédominait auparavant, l’esthétique prend désormais une place importante. Une dynamique que l’on retrouve plus largement dans l’espace public, notamment face au phénomène des entrées de villes dites « moches » ou de la « France des ronds-points ».
Alexia Abtan : Avec notre ADN de développeur d’immobilier prime à Paris, la question de l’esthétique a évolué au fil du temps. Aujourd’hui, l’importance de l’esthétique de nos constructions résulte de l’interaction entre l’immobilier de bureau, l’hôtellerie et le logement. Concevoir des projets quatre à cinq ans avant leur livraison nécessite de prendre en compte l’esthétique, et il est essentiel pour nous de mesurer ces attentes de manière objective, et de comprendre leur évolution.
Quels sont les principaux enseignements de l’étude ?
Frédéric Dabi : Aujourd’hui, 95 % des salariés estiment qu’il est important de travailler dans un bel environnement, et que leur entreprise doit investir dans la décoration des bureaux pour valoriser sa marque employeur. C’est gagnant-gagnant : les salariés sont plus fiers de leur entreprise, et celle-ci gagne en attractivité, en fidélisation et en engagement. Les bureaux deviennent « all inclusive », offrant des services directement au sein de l’immeuble.
Alexia Abtan : Beaucoup des personnes que nous avons interrogées nous le disent, la notion d’esthétique converge avec celle du confort. Il est donc crucial de marier esthétique, bien-être et confort. Nous constatons également l’importance croissante de la nature. La présence de parcs et d’espaces verts au niveau du quartier et de la lumière naturelle à l’échelle des espaces intérieurs sont les premiers éléments cités pour définir le « beau » !
« Le beau renforce le statut de “valeur refuge” du bureau. »
Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui, les salariés comme les employeurs ont ces attentes en ce qui concerne l’esthétique ?
Frédéric Dabi : La fin de l’étanchéité entre le lieu de travail et le domicile s’est accentuée avec la crise sanitaire. Pour attirer les employés, le bureau doit être au moins aussi agréable que leur lieu de vie. En Île-de-France, où de nombreux jeunes salariés vivent dans de petits appartements, un bureau est d’autant plus attrayant s’il est esthétique. Et ça marche, avec 57 % des salariés attachés à leur entreprise en 2023, contre 30 % il y a quelques années.
Alexia Abtan : Deux éléments ont contribué à l’amplification de ces tendances. D’abord, la crise de la COVID-19 a diversifié les modes de travail et poussé les entreprises à rationaliser leurs surfaces de bureaux. Avec moins d’espace, l’accent est désormais mis sur la qualité. Mais également la convergence des styles vers des lieux « instagramables » qui explique sans doute que les bureaux au style « hôtelier » arrivent en tête des bureaux désirables. On attend toujours plus de son bureau, et l’univers des hôtels, serviciels par nature, constitue un référentiel fort.
Comment les entreprises peuvent-elles se saisir de ces résultats ?
Alexia Abtan : Un beau bureau est un espace qui reflète l’identité de l’entreprise. L’objectif n’est pas de plaire à tout le monde, mais de faire des choix affirmés. En tant que foncière, elle doit mettre l’accent sur l’investissement dans les espaces communs et la création d’espaces privatifs modulables. Lorsque les bureaux sont bien conçus, les salariés doivent pouvoir s’y identifier et en être fiers. Certains vont même jusqu’à les faire visiter à leur famille !
Frédéric Dabi : Le beau renforce le statut de « valeur refuge » du bureau. Lorsqu’on se sent mieux au bureau que chez soi, ce dernier prend une importance particulière, s’inscrivant dans une sphère globale, intime même. Cette tendance est d’autant plus marquée que notre baromètre montre une forte évolution : une majorité de jeunes salariés, mais pas seulement eux, considèrent leurs collègues comme des amis.
Et à une échelle plus large, comment l’esthétique du quartier de travail influence-t-elle la vie professionnelle ?
Alexia Abtan : L’homogénéité architecturale du Paris haussmannien, marquée par des variations de hauteur, des ruptures, des espaces végétalisés et des plans d’eau, contribue au charme unique de la ville. Cette esthétique contraste avec d’autres quartiers plus récents et minéraux, plus austères. La préservation du patrimoine, bien que contraignante, nous oblige à être créatifs et à nous adapter pour faire de Paris non pas une ville musée, mais un musée à ciel ouvert où l’on peut à la fois vivre et travailler.
Frédéric Dabi : Aujourd’hui, 79 % des personnes préfèrent les quartiers mixtes, combinant commerces, logements et bureaux. Les Jeux de Paris ont laissé un héritage inattendu : ce n’est pas tant le sport dans les stades qui a marqué les esprits, mais le sport dans la cité. Cette idée de jeu dans l’espace public s’étend symboliquement au bureau, qui doit suivre ce modèle.
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