A l’heure où le faible taux de natalité (INSEE, 2024) suscite un vaste débat sur les causes de la baisse des naissances en France, peu d’observateurs en ont cherché la cause du côté de l’activité sexuelle des Français(es), alors même que la fréquence des rapports a toujours joué, pour les démographes de l’INED, un « rôle dans la détermination du niveau de la fertilité des couples ». S’il faut bien sûr relativiser le lien entre sexualité et procréation dans un pays à forte prévalence contraceptive, cette question se pose néanmoins quand on voit par exemple qu’un pays comme les Etats-Unis affiche des taux préoccupants à la fois en matière d’activité sexuelle et de natalité. Réalisée dans le cadre de l’observatoire LELO de la sexualité des Français(es), cette enquête Ifop menée auprès d’environ 2000 personnes montre bien que l’Hexagone n’échappe pas au phénomène de « récession sexuelle » observé ces dernières années dans nombre de pays occidentaux (ex : USA, GB…). Et si l’impact du temps passé sur les écrans pèse sur cette apathie sexuelle, celle-ci semble aussi être le produit d’un désintérêt de plus en plus marqué pour le sexe.
A) L’ACTIVITÉ SEXUELLE ENREGISTRE UN RECUL SANS PRECEDENT DEPUIS UNE QUINZAINE D’ANNÉES
1 – La proportion de Français(es) ayant eu un rapport au cours des 12 derniers mois n’a jamais été aussi faible en cinquante ans : 76% en moyenne, soit une baisse de 15 points depuis 2006 (étude CSF). Le taux d’activité sexuelle annuelle tombe ainsi à un niveau encore plus faible qu’en 1970 (± 82% ; Rapport Simon).
2 – Cette montée de l’inactivité sexuelle affecte tout particulièrement la jeunesse : plus d’un quart des jeunes de 18 à 24 ans initiés sexuellement (28%) admettent ne pas avoir eu de rapport en un an, soit cinq fois plus qu’en 2006 (5%).
3 – L’activité sexuelle de la population perd aussi en intensité si l’on en juge par la baisse de la fréquence hebdomadaire des rapports sexuels des Français(es). Ainsi, aujourd’hui, 43% des Français(es) rapportaient avoir, en moyenne, un rapport sexuel par semaine, contre 58% en 2009.
B) CETTE CONTRACTION DE L’ACTIVITÉ S’INSCRIT DANS UN CONTEXTE DE DISSOCIATION CROISSANTE ENTRE CONJUGALITÉ ET SEXUALITÉ MAIS AUSSI PAR UN DÉSINTÉRÊT DE PLUS EN PLUS MARQUÉ POUR LE SEXE
4 – Dans un contexte marqué par une révolution du rapport au consentement, les Françaises acceptent beaucoup moins de se forcer à faire l’amour qu’il y a 40 ans : 52% des femmes âgées de 18 à 49 ans déclarent qu’il leur arrive de faire l’amour sans en avoir envie, contre 76% en 1981.
5 – Plus de la moitié des femmes adultes (54%, contre 42% des hommes) déclarent qu’elles pourraient continuer à vivre avec quelqu’un dans une relation purement platonique, soit une proportion en nette hausse sur une quarantaine d’années chez les femmes de moins de 50 ans (+ 14 points par rapport à 1981).
6 – La place qu’occupe aujourd’hui le sexe dans la vie des femmes est beaucoup moins grande qu’il y a une trentaine d’années si l’on en juge par leur désintérêt croissant pour l’activité sexuelle : 62% des Françaises accordent aujourd’hui de l’importance à la sexualité dans leur vie, contre 82% en 1996.
7 – Désignée comme l’absence d’attirance sexuelle envers autrui, l’asexualité est une orientation sexuelle assumée par 12% des Français et jusqu’à 23% chez les femmes âgées de 70 ans et plus.
C) SI LES CAUSES DE CETTE RECESSION SEXUELLE SONT MULTIPLES, ELLE TIENT NOTAMMENT A LA CONCURRENCE D’ACTIVITES SEXUELLES NUMERIQUES
8 – Lorsqu’on interroge les jeunes de moins de 35 ans vivant en couple sous le même toit, la moitié des hommes (50%, contre 42% des femmes) reconnaissent avoir déjà évité un rapport sexuel pour regarder un série/films à la télévision (ex : Netflix, OCS…).
9 – Et on retrouve cette concurrence des écrans sur le sexe pour d’autres loisirs comme les jeux vidéo – préférés au sexe par 53% des hommes de moins de 35 ans vivant en couple – ou les réseaux sociaux de partage de photos ou de vidéos (préférés au sexe par 48% des hommes de moins de 35 ans vivant en couple).
Conclusion : cette étude a le mérite de mettre en lumière le fossé existant entre la réalité sexuelle des Français et des stéréotypes médiatiques qui tendent encore trop souvent à associer la « bonne sexualité » à une vie sexuelle trépidante. Après des années d’hypersexualisation de la société, les décennies 2010/2020 marquent bien l’amorce d’un nouveau cycle où la contrainte à avoir une vie sexuelle pour faire « plaisir » ou « comme tout le monde » se fait moins forte. Dans un contexte culturel de rejet des injonctions pesant sur le corps et l’intime, un nombre croissant de Français(es) semblent s’affranchir des normes qui font d’une sexualité active une composante essentielle d’une vie réussie ou, en tous cas, d’une vie de couple harmonieuse. L’enquête montre notamment comment nombre de femmes ne se sentent plus obligées de répondre au désir sexuel de leur partenaire, certaines se tournant même vers des attitudes plus radicales comme l’asexualité et l’abstinence. En cela, le fossé se creuse avec la minorité d’hommes qui voit encore dans l’expression d’une forte libido un élément consubstantiel de leur masculinité.
François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop
POUR CITER CETTE ETUDE, IL FAUT UTILISER A MINIMA LA FORMULATION SUIVANTE :
« Étude Ifop pour LELO réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 29 décembre 2023 au 2 janvier 2024 auprès d’un échantillon de 1 911 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus »
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