A deux semaines du scrutin présidentiel, quels regards portent les Français sur leur pays et sa projection dans une Europe, en proie à une guerre d’agression ? L’enquête exclusive Ifop pour le JDD, Paris Match et Europe 1 apporte des éléments de réponse donnant à voir une opinion ambivalente.
L’Europe comme arme anti-déclin ?
Sans surprise, la vision d’une « France qui tombe » demeure structurant dans la représentation qu’ont les Français de leur pays. En effet, 62% des personnes interrogées considèrent que la France est en déclin, une perception ressentie dans tous les segments. Néanmoins, ce résultat apparait comme le plus faible observé depuis 2005. En outre, il est largement compensé par le sentiment très majoritaire (78%) que l’Hexagone a beaucoup d’atouts et surtout par le fait que près de 7 Français sur dix (69%) voient dans la France une grande puissance européenne. Tout se passe comme si la projection de la France dans l’ensemble européen constituait dans l’opinion une sorte d’arme « chasse-déclin ». A cet égard, malgré l’euroscepticisme ambiant sans doute atténué par l’urgence de la crise ukrainienne, 61% des Français estiment que notre pays ne peut véritablement peser à l’international que dans le cadre de l’Union européenne. Notons que cette vision hugolienne de l’Europe comme « une France en grand » est partagée dans toutes les catégories sauf chez les ouvriers, et dans toutes les familles politiques à l’exception des sympathisants LFI, RN et Reconquête.
Un « en même temps » sur l’articulation de la souveraineté entre Europe et France.
Pour autant, on ne saurait parler d’un courant europhile dans l’hexagone. Au-delà du ressenti d’une fierté européenne de l’ordre de deux tiers, l’opinion demeure tiraillée voire contradictoire sur l’Europe souhaitée, après avoir encaissé le choc de deux crises.
D’un côté, les Français inclinent davantage vers le choix d’une Europe des nations avec davantage de souveraineté pour les Etats (45% vs 31% pour une souveraineté européenne). On peut voir dans ce souhait l’impact de la crise Covid qui a considérablement renforcé dans l’opinion les attentes d’autonomie à l’échelle nationale. Ainsi, une majorité d’interviewés appellent de ses vœux une prise en charge prioritaire par les pouvoirs publics de l’indépendance des approvisionnements alimentaires (63%) et sanitaires (57%) ou la relocalisation de nos activités stratégiques (60%). De la même manière, le renforcement de l’autonomie industrielle, alimentaire ou sanitaire de notre pays doit pour plus de deux tiers des répondants s’accomplir à l’échelle nationale.
De l’autre côté, la crise ukrainienne a indéniablement fait bouger les lignes et rééquilibrer le choix univoque d’ « un tout national » en matière de souveraineté. Ainsi, plus des trois quarts des Français (77%) attendent que leur pays propose une réponse européenne globale aux grands enjeux géopolitiques et socioéconomiques. Une personne sur deux franchit même le pas du fédéralisme en souhaitant l’instauration d’un gouvernement fédéral européen agissant sans consulter les gouvernements des Etats membres. Enfin, face aux périls, l’option d’un retrait de l’OTAN ou de l’Union européenne s’avère largement minoritaire (33% à 34%), et ce dans toutes les catégories, à l’exception des électeurs Le Pen et Zemmour.
S’agissant de la confiance à l’égard des acteurs politiques, le candidat Macron capitalise via son statut de sortant, sur sa capacité à défendre les intérêts de la France à l’étranger (30% vs 18% pour M. Le Pen). Ce crédit est encore net en ce qui concerne son aptitude à faire avancer l’Europe (36% contre 14%), présidence française de l’union européenne oblige. Toutefois, en ce qui concerne cet enjeu de l’indépendance hexagonale que la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont placé au cœur des préoccupations, Emmanuel Macron ne devance que d’un point la candidate RN.
Frédéric Dabi
Directeur Général Opinion Ifop