La victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981 a consacré une double rupture dans la Ve République, à savoir l’alternance rendue possible après vingt-trois ans ininterrompus de pouvoir par la droite. La rupture, c’est également l’arrivée de la gauche socialiste aux affaires.
Aujourd’hui, quarante ans après le 10 mai 1981, quel regard portent les Français sur François Mitterrand, aussi bien sur l’homme que sur le bilan, après un bail présidentiel de quatorze ans ?
L’enquête exclusive menée par l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et Génération Demain apporte des éléments précieux.
Le président du peuple de gauche
Invités à désigner le président de la Ve République qu’ils apprécient le plus, les Français ne placent pas François Mitterrand en tête de leur choix. Charles de Gaulle, comme de coutume s’agissant de ce type de classement [[Seule une enquête Ifop/Le Journal du dimanche, réalisée les 11 et 12 janvier 1996 au lendemain de la mort de François Mitterrand, avait bouleversé cette hiérarchie en faveur du premier président socialiste.]], apparaît comme le président préféré devançant de peu (46 % contre 42 %) Jacques Chirac, dont la disparition récente et l’émotion populaire qu’elle a suscitée expliquent largement cette deuxième place.
L’homme du 10 mai émerge en troisième position, devançant deux de ses prédécesseurs et trois de ses successeurs. Il est également au coude-à-coude avec Jacques Chirac lorsque l’on examine le premier choix de réponses des Français (19 % contre 18 %).
Toutefois, François Mitterrand recueille un taux d’appréciation nettement plus important auprès de deux segments cruciaux. Il s’agit, d’une part, des sympathisants de gauche où il arrive nettement en tête (58 %). Il est, à cet égard, frappant de constater à quel point la popularité de François Mitterrand, vingt-cinq ans après sa disparition, demeure indexée sur le clivage gauche-droite. En effet, plébiscité à gauche, il pâtit d’un rejet toujours épidermique à droite où seuls 6 % des sympathisants le citent comme président apprécié.
Une image contrastée
C’est le terme « stratège » qui émerge en tête aussi bien auprès de l’ensemble des Français (64 %) qu’au sein de la génération Mitterrand (71 %). L’étude ne dit pas si la forte association de ce mot à François Mitterrand renvoie à la refondation du Parti socialiste à Épinay, à la marche vers le pouvoir ou encore à l’habileté du président de la première cohabitation réélu en 1988, deux ans après une défaite dans les urnes aux législatives de 1986.
Par ailleurs, le corpus idéologique mitterrandien fait partie intégrante de son image et ce autour d’une double identité politique : 58 % des Français lui associent le mot « socialiste » et 53 % le terme « européen ».
Toutefois, une part minoritaire mais non négligeable des personnes interrogées marque une forme de distance avec l’ancien président socialiste, considéré à 44 % comme « hautain » et « cynique ». Relevons, en outre, que ces deux représentations font l’objet de citations majoritaires dans la génération Mitterrand.
Un bilan dominé par le souvenir des avancées sociales de 1981
La restitution des événements marquants des deux septennats de François Mitterrand révèle une hiérarchie claire dominée par les réformes et mesures du premier mandat, et plus précisément celles mises en œuvre dès 1981.
Ce sont, en effet, les avancées sociales décidées au lendemain de l’élection de François Mitterrand qui recueillent une majorité de citations. La cinquième semaine de congés payés (52 %) et la retraite à soixante ans (51 %) émergent en tête. Notons que l’autre mesure décidée dans la période post-10 mai, la semaine de trente-neuf heures, s’avère nettement moins citée (31 %), éclipsée dans la mémoire collective par les trente-cinq heures, mises en place sous le gouvernement Jospin.
Le souvenir des années Mitterrand est donc éminemment social et vient devancer la décision sociétale la plus emblématique du premier septennat, l’abolition de la peine capitale, mentionnée par plus de quatre Français sur dix.
Conclusion : La décennie Mitterrand comme symbole d’un âge d’or
L’enquête montre à quel point la période Mitterrand représente aujourd’hui pour une majorité de Français, par-delà les clivages partisans, une sorte d’âge d’or, au sens girardetien[[Voir Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986.]] du terme. Dans le contexte actuel d’une France engluée dans la crise liée à la Covid-19, France que les trois quarts des Français jugent en déclin[[Voir « Radioscopie de l’électorat du Rassemblement national à un an de l’élection présidentielle de 2022 », enquête Ifop-Fiducial pour Le Journal du Dimanche et Sud Radio, 3 034 personnes âgées de plus de dix-huit ans, interrogées en ligne du 18 au 23 mars 2021 selon la méthode des quotas.]], le souvenir des années Mitterrand est appréhendé de manière idéalisée.