Aude Grant suit le Paris Workplace depuis 2014. En tant que Directrice Général Adjoint Asset Management, elle a mené chez SFL plusieurs projets emblématiques comme le #Cloud (siège de Facebook et BlaBlaCar) et a été le témoin privilégié des évolutions de l’immobilier tertiaire parisien.
5 ans déjà ! Quels sont les grandes tendances que vous avez vu émerger au cours de ces dernières années ?
Ces 5 dernières années ont consacré la place croissante prise par le bureau dans la vie des entreprises. En 2017, nous avions interrogé 10 fleurons de la French Tech (ManoMano, Criteo…). Chez ces entreprises précurseuses, on conçoit le bureau comme un « totem » : c’est le lieu par excellence où s’incarnent la culture et la stratégie d’entreprise. En 2018, nous nous étions intéressés à la mobilité sur et autour du lieu de travail. La mobilité, en favorisant les rencontres, génère toute une série d’effets bénéfiques sur le bien-être, la créativité et la performance des salariés.
En creux, la notion de relation (fréquence et qualité) est omniprésente. Le thème de cette édition s’est donc en quelque sorte imposé à nous. Nous vivons dans une société qui isole de plus en plus l’individu. Mais, malgré tout, nous restons des animaux sociaux : nous avons besoin de nous rencontrer et de vivre ensemble. Le bureau, où l’on passe un tiers de sa vie, est devenu à ce titre LE lieu où l’on est reconnu (pour son travail) et où l’on participe au collectif (l’équipe, l’entreprise). Personne, je crois, n’avait anticipé que le bureau puisse prendre une telle importance sociale.
Quels sont les principaux enseignements que vous avez retenus de cette édition 2019 ?
Ce qui me frappe particulièrement c’est que pour 43 % des salariés interrogés (presque la moitié !) les bureaux ont été un élément important dans le choix de leur entreprise. C’est une tendance qui se renforce depuis 3 ans et qui concerne particulièrement les jeunes générations. Alors que l’économie se dématérialise, les salariés accordent de plus en plus d’importance à leurs bureaux.
En réalité, le paradoxe n’est qu’apparent. Alors qu’hier, aller au bureau était une contrainte pour travailler, aujourd’hui on a le choix, car notre espace de travail tient dans une poche (ou dans un sac). Et ce choix révèle par contraste l’importance du bureau. Nous sommes dans un monde de plus en plus individualisé, segmenté, explosé dans le temps et dans l’espace. La fidélité à l’entreprise s’est effritée au fil des années. On s’attache donc moins à son entreprise, et plus à ses collègues.
L’homme a besoin de lieux physiques pour se retrouver et se rassembler. Le bureau, en rendant possible et en facilitant les interactions, (re)donne des repères et devient un véritable outil de fidélisation. Au fond, ces réflexions autour de l’espace de travail nous ramènent à ce que nous sommes : des êtres sociaux en quête d’échanges et d’interactions directes, en quête d’appartenance à un groupe social.
Et l’immobilier serait donc la solution au désengagement des salariés français ?
Cette dimension sociale et presque « animale » fait qu’il n’y a pas aujourd’hui d’alternative au bureau. Le télétravail et les tiers-lieux peuvent ponctuellement le compléter, mais en aucun cas le remplacer. Cela fait écho aux résultats du Paris Workplace 2018 sur le thème de la mobilité. Pour que le bureau reste un lieu de rassemblement physique, il faut qu’il soit accessible et central (à moins de 40 minutes de trajet).
L’entreprise qui investit dans le workplace (le lieu, l’environnement de travail) fait donc d’une pierre trois coups : elle investit dans un levier de performance, de fidélisation et de recrutement. Le bureau est même devenu une condition sine qua non pour attirer les meilleurs profils. Cela fait partie de la stratégie de recrutement d’entreprises comme Leboncoin, ou Orange, que nous avons interrogées cette année.
Mais même avec les meilleures intentions du monde, le workplace, s’il ne s’intègre pas dans une stratégie globale, n’est qu’un bâtiment sans âme. L’immobilier est le catalyseur de la stratégie managériale et de la culture de l’entreprise, mais, sans une impulsion au plus haut niveau, sans des dirigeants exemplaires, il reste lettre morte. C’est ce que nous dit le Général de Villiers, invité d’honneur de cette édition.
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