Cinquante ans après Mai 68, quel rapport les Françaises entretiennent-elles avec leur sexualité ? Sont-elles plus audacieuses, plus libres ? Qu’a changé #MeToo dans le rapport des femmes au sexe et à la séduction ? Quelles pratiques ont le vent en poupe : masturbation, sex-toys, sodomie, pénétration anale du partenaire… ? La popularisation du discours féministe a-t-elle rejailli sur les comportements intimes des femmes ? Sont-elles plus libres dans leurs pratiques, plus conscientes de leurs désirs, plus à l’aise avec leur corps ? Pour répondre à toutes ces questions, ELLE a fait réaliser par le Département « Genre, sexualités et santé sexuelle » d’Ifop une grande enquête pour observer les évolutions des pratiques sexuelles des Françaises mais aussi de leur relation au corps, au couple et au plaisir.
LE CHIFFRES CLÉS DE L’ENQUÊTE
La comparaison des résultats de cette étude avec ceux des enquêtes de référence réalisées au cours des 50 dernières années (Rapport Simon 1970, ACSF 1992, CSF 2006,…) met en lumière plusieurs grandes tendances :
Une plus grande autonomie du plaisir féminin en lien avec un essor du recours à la pornographie et aux sextoys
- Jamais les Françaises n’ont été aussi nombreuses à succomber aux joies de l’onanisme… En 2019, trois femmes sur quatre (76%) admettent s’être déjà masturbées au cours de leur vie, contre 60% en 2006 (CSF), 42% en 1992 (ACSF) et à peine 19% en 1970 (Rapport Simon). En l’espace de près de 50 ans, la proportion de femmes déclarant s’être livrées à la masturbation a donc été multipliée par quatre.
- Cette généralisation de l’auto-érotisme féminin apparaît intrinsèquement liée à un accès plus large des Françaises à des supports d’excitation sexuelle comme les films ou des images pornographiques : une femme sur deux (47%) admettant avoir déjà été sur un site X, soit une proportion plus de dix fois supérieure à celle observée en 2006 (4%).
- La pratique de la masturbation tend également à se banaliser sous l’effet d’une explosion du nombre de femmes utilisant des objets de stimulation physique : près d’une Française sur deux (43%) admet en 2019 avoir déjà utilisé un vibromasseur, contre un peu plus d’une sur trois il y a cinq ans (37% en 2012) et à peine 9% il y a douze ans (2007).
Un répertoire sexuel de plus en plus diversifié si l’on en juge par la généralisation de certaines pratiques comme la fellation, le cunnilingus ou la sodomie
- Symbole de la conquête de l’indépendance sexuelle des femmes, l’essor de l’onanisme féminin va de pair avec un élargissement du répertoire sexuel si l’on juge par la banalisation de certaines pratiques bucco-génitales – comme la fellation ou le cunnilingus – ou anales (sodomie, anulingus).
- Aujourd’hui, les pratiques orales constituent une composante courante de leur sexualité. En cinquante ans, le nombre de nombre de femmes ayant déjà léché le sexe de leur partenaire a en effet fortement progressé (+36 points) au point d’atteindre des seuils très proches (91%) de ceux des hommes (89%), signe d’une certaine réciprocité dans l’échange de ce genre de caresses fréquemment associées aux phases de préliminaires.
- Si l’exploration du versant anal de sa sexualité tend plus à venir avec l’âge, il est intéressant de noter que la sodomie est désormais une pratique majoritaire : 53% des femmes s’y sont prêtées au moins une fois. Et cette pratique s’est elle aussi fortement banalisée au cours des 50 dernières années : la proportion de femmes s’étant déjà adonnées à la pénétration anale a été quasiment multipliée par quatre depuis 1970 (14%).
Pénétrer l’homme : vers une plus grande disposition à inverser les rôles sexuels traditionnels
- Cette propension des femmes à assumer un rôle sexuel plus actif transparaît aussi dans l’adoption de comportements transgressant les normes de genre telles que la pénétration digitale de l’anus de son partenaire (22%) ou l’administration d’un anulingus à un homme (15%).
- Chez les femmes des milieux populaires, on observe en effet une plus grande « rigidité de genre » dans leurs pratiques anales avec les hommes : à peine 7% des ouvrières ont déjà pénétré l’anus de leur partenaire avec un doigt, soit quatre fois moins que les cadres et professions intellectuelles supérieures (33%). A la lecture de ces résultats, certains hommes parviennent donc moins aisément que d’autres à s’écarter des normes, sans doute en raison de leurs difficultés à admettre la part de féminité associée à la passivité sexuelle et par là le risque d’une potentielle remise en cause leur identité de genre.
- Étroitement liée à la diffusion du plaisir prostatique chez les hommes hétérosexuels, cette “inversion” des rôles s’avère symptomatique de l’idéal d’égalité et de réciprocité qui imprègne désormais le discours normatif sur la sexualité de couple et, plus largement, d’une certaine remise en cause du clivage « pénétrant/pénétré » structurant traditionnellement les représentations sociales et culturelles de la sexualité hétérosexuelle.
Un détachement face à l’injonction de la sexualité intensive et la norme de l’orgasme systématique
- Contrairement aux idées reçues, la sexualité n’est une nécessité dans le couple. En effet, près de deux Françaises sur trois pourraient continuer à vivre avec quelqu’un sans rapports sexuels (65%), soit une proportion en hausse continue depuis 40 ans, puisque c’était le cas pour 51% des femmes en 2000, et 44% en 1981.
- Malgré les discours sur l’importance de la réussite sexuelle du couple et la réciprocité du plaisir entre partenaires, le « devoir d’orgasme » parait de moins en moins prégnant : seules trois femmes sur dix estiment qu’un rapport sexuel est raté si sans orgasme (28%), tandis qu’elles étaient quatre sur dix vingt ans plus tôt (41%).
Entre maillot intégral et retour du poil : vers une polarisation des formes d’épilation intime ?
- En matière d’épilation, on observe deux tendances totalement contradictoires. D’un côté, une forte progression du nombre femmes qui ne s’épilent pas le sexe – 24%, contre 15% en 2013 – et, de l’autre, une évolution analogue du maillot intégral, passé de 14 à 22% de pratiquantes en l’espace de 6 ans, principalement pour plaire aux partenaires, notamment aux adeptes de pratiques comme le cunnilingus.
- Serait-on confronté à une polarisation de l’épilation ? En regardant les chiffres au plus près, on réalise que les clivages sont plus subtils : Seules 11% des jeunes de moins de 25 ans ne s’épilent pas alors que plus de la moitié (54%) optent pour l’épilation intégrale ! Le retour au poil ne concerne donc pas les jeunes.
L’effet sur les relations hommes / femmes : entre sororité et libération de la parole
- L’impact de #MeToo est contrasté : on note un incroyable regain de vigilance, avec 60% de femmes qui se disent plus attentives en cas de gestes déplacés à leur égard ou à celui d’autres femmes. De même, on observe une libération de la parole chez les jeunes de moins de 25 ans : 71% évoquent plus facilement leurs expériences de harcèlement, de discrimination ou d’agression à caractère sexuels, contre une moyenne de 43% chez l’ensemble des Françaises.
- Les relations entre les femmes et les hommes semblent avoir peu changé : seule une Française sur quatre trouve les hommes plus inhibés ou réservés (25%), et seules 15% d’entre elles prend plus les devants en matière de séduction.
- Concernant les applis ou sites de rencontre, deux femmes sur dix déclarent s’y être déjà inscrites (22%), un chiffre qui a plus que doublé en treize ans. Parmi les inscrites, près de deux femmes sur dix recherchent juste des aventures sans lendemain (19%), un chiffre en augmentation par rapport à 2012 (+6% en sept ans).
Moix or not Moix : la question de l’écart d’âge entre conjoints
- Huit Françaises sur dix se déclarent prêtes à s’afficher en couple avec un homme ayant 10 ans de moins qu’elles (79%). Un chiffre qui augmente avec le niveau de vie et de profession, pour atteindre 89% chez les cadres et professions intellectuelles supérieures.
- A l’inverse, seule une femme de moins de 40 ans sur trois pourrait avoir un rapport sexuel avec un homme de 50 ans (33%), sachant que cette proportion descend à 17% chez les répondantes de moins de 30 ans.
LE POINT DE VUE DE FRANÇOIS KRAUS DE L’IFOP
S’ils confirment le rapprochement des comportements sexuels entre les deux sexes, ces résultats montrent surtout un rapport plus hédoniste et plus autonome des femmes à la sexualité, s’affranchissant non seulement des préceptes moraux pesant traditionnellement sur la sexualité féminine mais aussi des scripts sexuels présentant le coït, l’homme et son membre comme les seules sources légitimes du plaisir féminin. Que ce soit dans leur sexualité solitaire (masturbation…) ou conjugale (échanges bucco-génitaux…), les Françaises expriment en effet une plus grande capacité à se prendre en main et à s’affranchir des normes de genre tendant à imposer une vision purement « pénétrative » et passive du plaisir féminin. Certes, la socialisation sexuelle des femmes a encore tendance à leur présenter les hommes comme les « uniques vecteurs et dépositaires techniques du plaisir » [1] féminin mais cette enquête montre bien une autonomie sexuelle croissante des femmes sous l’effet d’un changement des représentations culturelles et des discours publics sur le sujet – par exemple dans le cinéma, la musique ou les séries TV – mais aussi d’un accès plus large à des supports d’excitation (ex : pornographie en ligne, livres érotiques) ou à des objets d’autostimulation plus adaptés aux plaisir féminin.
François KRAUS, directeur du pôle Politique / Actualité à l’Ifop
POUR CITER CETTE ÉTUDE , IL FAUT UTILISER A MINIMA LA FORMULATION SUIVANTE : « Étude Ifop pour ELLE réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 28 au 29 janvier 2019 auprès d’un échantillon de 1 007 femmes, représentatif de la population féminine âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine. »
[1] Patricia Legouge, « Plaisir sexuel », in Juliette Rennes, Encyclopédie critique du genre, La Découverte « Hors collection Sciences Humaines », 2016, p. 459-469.
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