Plus de vingt ans après le lancement du premier site de rencontre en France, le comparateur de sites de rencontres Lacse a souhaité mesurer l’évolution de leur fréquentation tout en faisant le point sur les comportements en vogue sur ces espaces numériques. Afin de pouvoir observer ces évolutions avec le plus de recul possible, cet observateur des tendances de la rencontre en ligne a donc commandé à l’Ifop une enquête permettant de comparer les résultats avec la première étude menée dans l’hexagone sur le sujet il y a une douzaine d’années (CSF 2006). Réalisée par téléphone auprès d’un échantillon représentatif de 2 000 personnes, cette étude montre que les sites de rencontres créent un environnement favorable à la pratique d’une sexualité récréative qui n’est pas sans générer des phénomènes d’addiction et l’émergence d’un modèle de dragueur invétéré multipliant les partenaires sexuels sans l’intention d’établir de relation de couple.
LES CHIFFRES CLÉS DE L’ENQUETE
1. Vingt ans après le lancement du premier site de rencontre en France, leur fréquentation constitue une pratique de plus en plus répandue : un Français sur quatre (26%) déclare s’être déjà̀ inscrit au moins une fois sur un site ou une application de rencontre, soit une proportion qui a plus que doublé depuis la première mesure réalisée dans l’hexagone il y a une douzaine d’années (environ 11% en 2006).
* La comparaison de ces résultats avec ceux d’autres enquêtes de référence (ex : CSF 2006, EPIC 2013…) met à jour une forte progression de l’usage des sites de rencontres depuis 2011 (+ 10 points entre 2011 et 2017), sans doute sous l’effet de la généralisation de l’usage du web dans la population (+ 12 points durant la même période) et l’explosion du taux d’équipement en smartphones (+ 56 points) et en tablettes (+ 40 points).
* Il est vrai que la fréquentation de ces espaces numériques passe de plus en plus par celle de leurs supports sur mobile ou tablette : 15% des Français admettent avoir déjà utilisé au moins une application de rencontre, soit un taux qui se rapproche progressivement du nombre de personnes en ayant fait l’expérience via un site web classique (22%).
2. Cet essor de la fréquentation des plateformes de dating va de pair avec une profonde démocratisation de leur clientèle. En effet, alors qu’il y a une douzaine d’années, les usagers des sites de rencontres présentaient un profil beaucoup plus aisé que la moyenne, leur expérience est désormais aussi répandue dans les catégories populaires (33%) que chez les cadres et professions intellectuelles supérieures (34%).
* Avec la généralisation des outils numériques à toutes les couches de la population, les différences sociales d’accès aux sites de rencontres ont donc profondément reculé. Comme d’autres lieux de rencontre ouverts à tous (ex : bal, rue, café́,…), les sites de rencontres sont même désormais plus investis par les hommes des catégories populaires (42% des ouvriers et employés) que par les cadres et professions intellectuelles supérieures (33%).
* Et cette démocratisation est loin d’être contradictoire avec le positionnement « haut de gamme » adopté par certains sites. Au contraire, dans le cadre d’un mouvement de segmentation du marché du dating, ce discours marketing en est plutôt la conséquence : la popularisation des sites généralistes « grand public » ayant favorisé la multiplication de sites de « niche » constituant pour les Français à fort capital économique ou culturel des enclaves recréant des nouvelles formes d’« entre soi ».
3. Contrairement à ce que la plupart des sites présentent dans leurs publicités, obtenir une « date » avec quelqu’un via ce mode de rencontre est loin d’être donné à tout le monde : à peine plus d’un utilisateur sur deux (57%) déclare être parvenu à rencontrer quelqu’un en vrai via ce genre de sites ou d’applications.
* Très logiquement, l’enquête met à jour la plus grande difficulté des hommes hétérosexuels à y rencontrer quelqu’un in real life (seuls 48% d’entre eux y sont parvenus), en particulier lorsqu’ils ont plus de 50 ans (43%), qu’ils résident en milieu rural (41%) et qu’ils affichent un faible capital culturel (39% des non-bacheliers) ou une position en bas de l’échelle sociale : seuls 51% des employés et ouvriers ont déjà obtenus une date, contre 57% des hommes CSP +.
* A l’inverse, rencontrer quelqu’un en vrai semble plus aisé aux femmes (63% y sont parvenues en moyenne), notamment pour les trentenaires (80%), les habitantes de l’agglomération parisienne (73%) et les lesbiennes (90%). Dans la gent féminine, les logiques de discriminations sociales semblent toutefois différentes : les femmes cadres (52%) ou diplômées d’un 2ème cycle (50%) étant moins nombreuses que la moyenne (63%) à réussir à rencontrer quelqu’un en vrai via ce genre d’outils.
4. Allant à rebours de certaines idées reçues, cette étude révèle aussi qu’une partie significative des relations nouées sur ces sites ne sont pas dénuées de sentiments. Car si la plupart de leurs utilisateurs y ont eu à la fois des relations amoureuses et sexuelles (20%), l’étude montre qu’ils sont plus nombreux à n’y avoir connu que des relations amoureuses (19%) qu’à n’y avoir noués que des aventures sexuelles (9%).
* Au total, ces sites susciteraient ainsi moins « d’aventures purement sexuelles » (29%) que de relations affectives : 39% de leurs membres déclarant y avoir connu au moins « une relation amoureuse ». Une partie significative des relations nouées sur ces sites comprendrait donc une réelle dimension sentimentale ou affective, peut-être parce que la promesse d’y trouver l’âme sœur et la disposition à s’enflammer pour quelqu’un y sont plus grandes que sur le marché amoureux ordinaire.
* De gros écarts en fonction du sexe persistent toutefois sur ce point : les femmes, généralement plus réticences à assumer des rapports sexuels en dehors d’un cadre affectif ou conjugal stable, admettent toujours moins (23%) que les hommes (32%) y avoir eu une aventure purement sexuelle. Signe d’une plus grande romantisation de la sexualité féminine, elles sont à l’inverse sensiblement plus nombreuses (42%) que les hommes (36%) à rapporter y avoir noué des relations amoureuses.
5. La réalisation de rencontres amoureuses n’empêche pas pour autant une certaine banalisation des « coups d’un soir » via ces outils numériques : près des deux tiers des Français ayant déjà trouvé un partenaire via un site admettent y avoir déjà̀ eu « une aventure sans lendemain » (62%) et plus de la moitié une expérience sexuelle avec quelqu’un sans chercher ensuite à la revoir (55%).
* Il faut dire qu’en offrant à leurs membres un nombre infini de possibilités de rencontre dans le cadre d’un anonymat quasi-total, ces sites constituent un environnement des plus favorables au recrutement de partenaires occasionnels, notamment pour les femmes qui peuvent y multiplier les rencontres purement sexuelles loin du regard de leur entourage. Ces sites s’imposent donc des lieux de rencontre où la sexualité peut être débarrassée de toute implication autre qu’elle-même.
* Ce genre d’expérience reste toutefois moins dicible dans la gent féminine que masculine, sans doute à cause des réticences des femmes à transgresser les normes selon lesquelles la sexualité féminine ne serait légitime que dans un cadre affectif ou durable. Ainsi, si les trois quarts des hommes ayant déjà trouvé un partenaire via un site admettent y avoir déjà eu « une aventure sans lendemain » (72%), les femmes ne sont que 47% dans ce cas.
6. L’enquête montre également que les rencontres en ligne créent un environnement défavorable au respect du principe d’exclusivité sexuelle, notamment pour les hommes qui s’avèrent particulièrement nombreux à y avoir continué à chercher un partenaire alors qu’ils étant engagés dans une relation de couple (41%) ou à y avoir entretenu des relations purement sexuelles avec plusieurs personnes en même temps (34%).
* Ces résultats tendraient à confirmer l’idée selon laquelle l’abondance de partenaires potentiels sur ces sites aurait un impact sur la psychologie – notamment masculine – en rendant inutile l’engagement dans une relation exclusive. Certes, ce genre de comportements n’est pas exclusivement masculin mais on note que le succès des sites de rencontres favorise l’affirmation d’un modèle de dragueur invétéré (« fuckboy ») refusant de se contenter d’un(e) seul(e) partenaire en même temps.
* Ces sites apparaissent ainsi comme un outil particulièrement adapté à la pratique d’une sexualité purement récréative, centrée sur l’épanouissement sexuel plutôt que sur les contraintes du couple. Chez certains, le maintien d’un profil sur un site apparait ainsi comme un moyen de « laisser la porte ouverte » à une rencontre avec un meilleur partenaire, symptomatique du syndrome de « la peur de manquer quelque chose » (fear of missing out) particulièrement présente sur les réseaux sociaux.
7. Enfin, l’addiction aux rencontres éphémères via des applis de rencontres est loin d’être un phénomène marginal : un utilisateur sur six (16%) admet avoir déjà eu l’impression d’y être « addict » et 13% déclarent que des proches leur ont déjà dit qu’ils en étaient dépendants.
* Bien décrite dans la BD “Love addict” de Koren Shadmi, cette dépendance a donc déjà été ressentie directement ou indirectement par près de trois utilisateurs sur dix (29%). Affectant plus d’hommes (19%) que de femmes (12%), le sentiment personnel d’addiction s’avère quant à lui très fort aux âges où l’on cherche moins à se mettre en couple qu’à multiplier les expériences : 23% chez les trentenaires (30-39 ans), jusqu’à 27% chez les hommes de cet âge.
François Kraus
Directeur du pôle “Politique / Actualités” de l’Ifop
Responsable du pôle “Genre, sexualités et santé sexuelle” de l’Ifop
CONTACTS :
Pour toute demande de renseignements à propos de cette étude ou pour obtenir des informations quant aux conditions de réalisation d’une enquête similaire, vous pouvez contacter directement François Kraus au 0661003776
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